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mêmes besoins, avec les mêmes désirs de tranquillité et de repos. Il demande la paix, on lui donne l’émotion et l’inquiétude ; il n’a point du tout le goût des représentations vaines ou excitantes, on lui offre le spectacle des intrigues de couloirs, des savantes manœuvres parlementaires, des coalitions les plus étranges, des conflits de pouvoirs, sans remarquer qu’il se forme ainsi une sorte de dissonance croissante entre l’état réel du pays et cette politique d’agitation artificielle à laquelle on se laisse emporter, sans s’apercevoir qu’on délaisse l’œuvre sérieuse de nécessité patriotique pour l’œuvre stérile d’une turbulence passionnée et fatigante.

Sait-on le dernier mot de cette politique d’irréflexion et de confusion, dont nous attendons le dénoûment ? Depuis cinq semaines déjà, l’assemblée est rentrée à Versailles. Ce n’est point assurément le travail qui lui manquerait, si on le voulait bien. Elle a devant elle une loi urgente de réorganisation militaire, une loi sur l’instruction publique, des lois d’administration, de finances, de reconstitution judiciaire. Elle n’a que le choix des travaux utiles. De tout cela, on ne fait à peu près rien, on ne s’intéresse que médiocrement à des questions si peu faites pour passionner un débat. On discute le budget en courant d’un air distrait au milieu des facéties de M. de Lorgeril sur ses rencontres avec le bandit Gasperone en Italie et des sorties de M. de Belcastel contre les ténors et les danseuses de l’Opéra. Pendant ce temps, les interpellations se succèdent, les motions se croisent dans l’air comme des lames d’épée, on se regarde d’un ton de défi. Il s’agit de savoir ce qui se passe à la commission des quinze ou à la commission des trente, comment on empêchera M. Thiers d’aller à l’assemblée, quelle sera la majorité du lendemain. Un jour, c’est la droite qui marche à l’assaut du gouvernement pour le réduire à merci ; un autre jour, c’est la gauche qui, de son côté, se lance à l’assaut de l’assemblée pour lui demander, un manifeste à la main, de se dissoudre. On sort à peine d’une crise qu’on voit déjà poindre une crise nouvelle, qui ne sera peut-être elle-même que le prélude d’une crise ultérieure. Voilà où nous en sommes encore aujourd’hui ! Voilà de quoi se compose notre vie parlementaire depuis plus d’un mois, et quoiqu’un mois ne soit pas bien long dans la vie d’un peuple, quoique ce soit sans doute fort intéressant pour ceux qui aiment ce genre d’émotions, il n’est point impossible que le pays, puisqu’on fait toujours parler le pays, ne finisse par demander qu’on arrive enfin aux affaires sérieuses dans son propre intérêt et dans l’intérêt de l’assemblée elle-même.

Cette histoire, à parler franchement, c’est l’histoire d’un mois mal employé, de beaucoup de temps perdu en agitations sans gloire et sans profit, lorsque le devoir le plus simple serait de ne pas gaspiller des jours dus au pays, d’éviter ces excitations et ces conflits qui ne sont que le triomphe de l’esprit de parti sur l’intérêt public. Tout se réduit