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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/106

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remplit les obligations indispensables de son ministère. Le prêtre indigène, aussi grossier que le paysan, capable à peine de lire la messe, vêtu du même costume que ses fidèles, portant comme eux le fusil, ne diffère pas du pope et du moine grecs des pays les moins cultivés ; il est d’autant plus étroit, d’autant plus intolérant, que les services qu’il rend sont plus contestables. Cette forme d’apostolat fait comprendre ce qu’a été la propagande byzantine chez les peuples qui entouraient ou envahissaient l’empire grec : apostolat sans énergie, qui ne donnait guère aux barbares que des cérémonies nouvelles. Cependant Scutari possède depuis quelques années un collège où on élève de jeunes Albanais, qui ensuite iront à Rome à la propagande ; les franciscains tiennent de petites classes où ils enseignent la lecture et les quatre règles. Il faut remarquer aussi que les difficultés que rencontre le clergé sont grandes : la liberté est complète dans la montagne, mais c’est dans les villes que la réforme devrait commencer ; or, ni à Scutari ni dans les autres chefs-lieux de district, la Porte n’a donné toute facilité aux catholiques. Une population de 12,000 catholiques dans la capitale du vilayet n’a pas encore d’église : il a fallu des années pour obtenir un firman qui permît d’élever quatre murs ; c’est dans une grange recouverte de quelques planches que l’archevêque officie. Les émeutes contre les latins se sont renouvelées fréquemment pour chasser les missionnaires ou détruire leurs constructions naissantes. Partout sur la côte les entraves ont été nombreuses, et tous les jours l’autorité les multiplie pour complaire tantôt aux Turcs, tantôt aux Grecs ou aux Juifs. Dans cette lutte, bien des forces se sont épuisées qui peut-être se seraient appliquées à une tâche plus haute ; quelques hommes d’intelligence et de cœur qui en d’autres pays eussent accompli des progrès réels ont vu leurs jours finir sans que l’œuvre fût commencée.


II

Nous ne savons pas d’une façon précise combien d’âmes compte la race albanaise. Les rares essais de dénombrement que commencent à faire les Turcs divisent toujours les sujets du sultan selon la religion. Ainsi l’almanach officiel de Janina, publié en 1871, et qui contient, — singulière nouveauté, — une statistique partielle du pachalikat d’Épire, semble ignorer que la province est peuplée de Grecs et de Schkipétars. Comme cette race est souvent mêlée aux populations slaves ou helléniques, et qu’elle en subit rapidement l’influence, il est parfois impossible au voyageur de reconnaître