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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/189

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semble le premier jour qu’on n’en aura jamais raison, qu’ils vont mettre le désordre dans l’établissement, et qu’il sera nécessaire de prendre à leur égard des mesures exceptionnelles. Eh bien ! point du tout ; au bout de deux ou trois jours, ces enfans se sont engrenés sans effort dans la régularité de la discipline agissent avec ordre et précision, et obéissent sans la plus petite difficulté. Ce qu’on prenait pour esprit de révolte enraciné n’était autre chose que turbulence enfiévrée. Ces enfans sont pâte tendre à laquelle on donne la forme que l’on veut. Il n’en est pas ainsi des enfans qui nous viennent de la campagne : ceux-là ont un caractère ; il peut être bon, il peut être mauvais, mais ils en ont un, et il est difficile de le changer. » J’ai trouvé d’ailleurs le digne prêtre très convaincu de l’efficacité de l’institution qu’il dirige et inébranlable sur la croyance que l’âme peut être changée par la discipline religieuse, la condition que la patience du maître soit infatigable et ne connaisse pas le découragement. Ayant discrètement émis le doute contraire et laissé percer pour le soutenir quelque chose de mes opinions prédestinatiennes, son sévère visage s’est encore attristé, et je me suis bien vite arrêté pour ne pas blesser davantage la sainte illusion dans laquelle il puise le courage d’accomplir sa tâche ardue, et à laquelle d’ailleurs aucun prêtre catholique ne renoncera jamais sérieusement.

Les âmes humaines ont un prix infini, voilà la grande nouveauté que le christianisme est venu apporter au monde ; mais dans aucune des églises qui se partagent la chrétienté cette doctrine n’a été embrassée avec autant d’étendue que dans l’église catholique. Toutes les âmes sont également d’essence divine, et, ayant une même origine, ont une même fin, à moins qu’elles ne s’en écartent par le dérèglement de leur liberté. Toutes ayant également été rachetées de la chair par le sang de Jésus-Christ, Dieu n’a de dessein secret contre aucune, et. quand son action intervient même par le châtiment, ce n’est que pour avertir l’âme, aider sa faiblesse et l’empêcher de perdre le prix de ce rachat universel. Dans le protestantisme, le désespoir de l’âme coupable éclairée sur ses fautes a toujours été accepté, sinon expressément, au moins tacitement, comme légitime ; mais le catholicisme a fait du désespoir le vice suprême de l’âme. Défense absolue est faite au pécheur de désespérer. Non-seulement il n’est pas de criminel qui ne puisse se racheter, mais il n’est pas de scélérat qui ait le droit de se croire indigne du pardon de Dieu. Voilà les principes sur lesquels est fondée en grande partie la morale sociale du catholicisme, et qui règlent les rapports du prêtre catholique avec les âmes. Aussi, de même qu’il interdit au pécheur de désespérer, il n’en désespère jamais lui-même, et s’attache à croire à la possibilité de son rachat avec une obstination qui, je le déclare, a