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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/207

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contrastes de styles opposés souvent intéressans, mais qui, divisant l’admiration, empêchent toute plénitude de sentiment. Les mutilations de sa façade ne nuisent guère non plus à sa beauté, car l’imagination rétablit sans peine les dentelles et les guipures qui manquent à sa toilette de pierre. On ne se plaint pas davantage de ne lui voir qu’une seule tour, car il faut qu’une cathédrale soit toujours inachevée par quelque côté ; l’inachevé va bien à ces édifices, et n’en fait que mieux ressortir cette vanité des œuvres humaines, toujours incomplètes par quelque endroit, qui est au nombre des leçons qu’enseigne le christianisme. Les trois grandes verrières de la façade et des deux portes latérales ont beaucoup souffert, surtout les deux dernières ; il en est peu d’aussi belles, et celle de la rosace en particulier possède une magie de lumière qui produit un double effet dont l’œil ne peut se lasser. Deux couleurs y dominent, le jaune et le violet, et selon les heures du jour l’une ou l’autre y triomphe exclusivement. Quand on regarde cette rosace au milieu du jour, le jaune inondé de la lumière qu’il laisse passer à flots apparaît seul, et alors il semble voir s’épanouir une énorme fleur du souci ou un bouton d’or colossal ; mais aux heures du crépuscule la couleur plus foncée reprend son avantage, et le jaune souci est remplacé par une violette géante. On me dit que cette verrière est menacée de déplacement, parce qu’on ne la juge pas en harmonie assez étroite avec le caractère de l’édifice ; je ne sais trop ce qui en est à cet égard, mais souvent le mieux est l’ennemi du bien, même quand le mieux est cherché par d’habiles gens, et volontiers je demanderais grâce pour mes deux fleurs de lumière.

La crypte, forêt souterraine de colonnes trapues, a reçu dans ces dernières années les soins de M. Viollet-Le-Duc, cet habile chirurgien, ou, pour mieux parler, ce véritable bon samaritain de notre architecture nationale, qui a remis tant de membres à nos églises et pansé tant de plaies de nos édifices. Cette crypte est remarquable. De vieilles peintures à fresque ornent le sommet et les côtés d’un enfoncement en forme de chapelle. La principale, celle de face, représente un Christ d’un caractère très particulier, car c’est un Christ selon saint Jean, un Christ alpha et oméga, première et dernière parole du monde. Les peintures des côtés représentent différens personnages qu’on reconnaît sans peine à leurs attributs pour les quatre cavaliers de l’Apocalypse. Comme mon guide m’abandonne quelques instans dans la solitude de cette église souterraine, j’ai tout le temps de m’y laisser aller à mes rêveries en face de ces vieilles peintures. Il me vient donc à la pensée que cette formule : « je suis l’alpha et l’oméga, » s’applique non-seulement à l’éternité, mais au temps, qu’elle doit s’entendre non-seulement comme une définition mystique de la nature du Christ, mais comme