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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/261

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actes des personnages qui avaient exprimé la vérité religieuse. En son essence, la vérité chrétienne est féconde et légitime ; c’est ce qu’il importait d’enseigner et de proclamer. Quant au second élément, c’est la forme selon laquelle la pensée religieuse a été conçue, et la forme est accessoire ; elle se lie à des circonstances de temps, de lieu, de nationalité, qui sait ? même à des préjugés ; elle emploie des figures créées par l’essor d’une imagination naïve, s’ignorant elle-même et dupe de ses propres créations. Il serait possible par exemple, pensait Mærklin, de représenter avec force l’empire du mal et ses ravages, d’entretenir ses auditeurs de l’esprit d’erreur et de vertige, de la perversité menaçante pour chacun et trouvant des alliés dans notre pauvre cœur, sans que pour cela on affirmât l’existence du diable ou la réalité de mauvais esprits prenant possession des corps et des âmes.

Nous devons maintenant le reconnaître, les pensées de cet ordre se rencontrent souvent dans ce livre, et c’est bien de là qu’il emprunte son caractère original. Les vues familières à l’auteur de la Vie de Jésus s’y retrouvent en maint endroit ; elles sont succinctement résumées dans le fragment sur Reimarus et surtout dans les extraits de la préface d’Ulrich de Hutten. Quelle que soit l’appréciation qu’on en fasse, avant tout on devra comprendre comment ces vues diffèrent de la polémique antichrétienne du XVIIIe siècle. Ce n’est pas une distinction de nuance. M. Strauss insiste sur ce point : rien n’est plus étroit et plus faux que de prétendre que la religion n’est qu’une invention des prêtres et un tissu de fictions chimériques. Il s’éloigne souvent, et sur des matières graves, de la doctrine orthodoxe, mais il y est toujours conduit par des considérations où l’intérêt religieux a la part principale. Je ne sais si l’on est bien préparé en France à comprendre cette classe d’esprits qui ne nient pas, mais qui interprètent, qui ne prennent point la cognée pour renverser l’arbre, mais qui, remarquant les branches sèches et flétries, se demandent s’il n’est pas possible de ranimer la sève alanguie que recèle encore l’intérieur du tronc.

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage représente avec une parfaite netteté une certaine manière d’envisager les questions qu’agite de nos jours la conscience religieuse. — Il paraît de plus en plus évident qu’une solution de continuité s’est établie entre la pensée propre à notre temps et les formes dont jusqu’ici les doctrines chrétiennes ont été revêtues. Il n’est pas moins évident que la question n’est point résolue, et que nul ne saurait dire comment elle le sera. En tout cas, la génération qui s’élève, des signes manifestes l’annoncent, se fera des choses religieuses une conception différente, et il faut s’y préparer. L’empire des traditions n’est plus possible qu’à la condition qu’elles soient fécondées et transformées par une salutaire interprétation. Chacun pourra profiter des vues de M. Strauss sur ce point. Les partisans de la conservation