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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/265

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Si l’on avait sérieusement examiné la condition nouvelle des principaux états de l’Europe, on aurait vu sans peine combien il était impossible, — je ne dis pas de constituer une autre sainte-alliance, mais seulement d’y songer. Les publicistes qui se sont décidés à faire cet examen n’ont eu que l’embarras du choix parmi tant de preuves péremptoires. La sainte-alliance de 1815 n’avait eu qu’une visée : détruire la révolution. Elle avait espéré d’abord la détruire en la remplaçant, ce qui est la seule manière de détruire ; elle avait espéré qu’une politique bienfaisante, une politique patriarcale ferait oublier à tous les peuples les promesses de 89, ces promesses qui avaient eus pour dernier résultat le bouleversement de l’Europe et d’épouvantables tueries. Quand elle fut obligée de s’avouer à elle-même que son espérance était une chimère, elle ne songea plus qu’à détruire la révolution purement et simplement, à la détruire sans la remplacer par quelque chose de meilleur, à la poursuivre partout, à l’extirper à jamais. C’est même par suite de cette résolution que la sainte-alliance accueillie d’abord comme une inspiration d’une âme religieuse et tendre, ne tarda guère à devenir odieuse à tous les peuples. Le congrès de Vérone marque le point culminant de cette transformation[1]. C’est la sainte-alliance qui étouffait partout les idées libérales, qui poursuivait comme des attentats les réclamations les plus légitimes, qui assimilait les chrétiens de la Turquie à de vulgaires démagogues et les condamnait pêle-mêle au nom des mêmes principes. La sainte-alliance ne reconnaissait que l’ancien ordre de choses, les institutions, consacrées par le temps, les trônes établis depuis des siècles ; à ce titre, elle voulait protéger le sultan contre les Grecs, comme elle protégeait les petits despotes italiens contre les carbonari. Intervenir partout où besoin était pour raffermir l’ancien régime et décourager les espérances libérales, intervenir par la diplomatie ou par les armes, par l’insinuation ou la menace, ce fut sa règle inflexible. Elle faisait la police politique de l’Europe. Elle prétendait guérir d’autorité ce qu’elle appelait la maladie du siècle, l’esprit de ; réforme et le goût des monarchies

  1. Chateaubriand a écrit deux volumes tout exprès pour expliquer son rôle d’ambassadeur au congrès de Vérone et pour justifier sa guerre d’Espagne, comme il dit. On sait qu’il était ministre des affaires étrangères en 1823 et que la responsabilité de cette guerre lui appartient. À ce propos, il s’efforce de réfuter les reproches irrités de M. Duvergier de Hauranne, les protestations éloquentes du général Foy, la noble philosophie politique du duc de Broglie, les pages vigoureuses d’Armand Carrel. Il a beau dire qu’il ne s’excuse pas de la guerre d’Espagne, le grand événement de sa vie, on voit que ce souvenir l’obsède. Il désire qu’on sache à quelles vues élevées, à quelles inspirations patriotiques il a obéi en prenant cette décision hasardeuse. Il tient surtout à prouver qu’il n’a pas été l’huissier à verges de la sainte-alliance. Voyez Congrès de Vérone, t. II, p. 290, — Mémoires d’outre-tombe, t. VII, p. 455.