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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/287

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l’empereur. « Et M. de Bismarck a raison, reprend avec sa franche ironie le journal autrichien la Réforme. Être le chef du saint-empire romain, ce serait déjà chose malaisée pour un prince protestant ; mais ce serait absolument impossible à l’ami du roi d’Italie, du roi qui a mis la main sur l’héritage de saint Pierre. »

La Correspondance provinciale, répondant à ceux qui voudraient continuer le saint-empire et en reprendre les insignes, déclare, il est vrai, de la façon la plus nette « qu’il n’a jamais été question dans les cercles politiques sérieux de revendiquer les joyaux de l’ancien empire pour l’usage de l’empire nouveau ; » il faut pourtant donner satisfaction à ceux qui contestent le droit de l’Autriche, et la Correspondance ajoute : « Le trésor dont il s’agit appartient à l’empire, il n’a donc plus de propriétaire légitime depuis l’année 1806, et personne ne peut le regarder comme sien, personne, pas même le nouvel empire d’Allemagne. » Ainsi voilà un trésor sans maître et qui ne doit plus en avoir. Ceux qui pouvaient seuls le posséder légitimement sont morts ; il n’y a plus qu’à le ranger dans une nécropole. Ces sortes de choses appartiennent à la cité des souvenirs. Telle est la sentence du chancelier, et la conclusion de ce singulier procès. — Réjouissons-nous ! s’écrie la Nouvelle presse libre, journal publié à Vienne, mais prussien d’esprit beaucoup plus qu’autrichien ; l’empereur Guillaume ne veut pas que la question des insignes devienne une cause de conflit entre l’Allemagne et l’Autriche. — Réjouissons-nous ! reprend la Réforme, la Prusse nous laisse les insignes impériaux, elle ne nous prend que l’empire !

Pour nous, qui cherchons surtout la signification la plus vraisemblable de l’entrevue des empereurs à Berlin, quelle conclusion tirer de cet incident ? Tout simplement celle-ci : les Allemands pourront discuter longtemps sur la mission de la nouvelle Allemagne ; c’est affaire à eux. La question de savoir si l’empire de 1871 doit être le renouvellement de l’ancien empire ou l’inauguration d’un monde nouveau pourra mettre aux prises les hobereaux et les libéraux, les politiques de cour et les savans d’université. Ce débat ne nous regarde point. Quant à l’empereur Guillaume Ier, dans un cas comme dans l’autre, que ce soit l’idée de la tradition qui l’emporte ou bien l’idée de l’innovation, son intérêt personnel, sa préoccupation personnelle a été manifestement de faire consacrer l’empire des Hohenzollern par l’héritier des Habsbourg. Une seule visite, la visite solennelle de l’empereur François-Joseph, avait bien autrement de valeur à ses yeux que la couronne et le sceptre, et la main de justice, et la bulle d’or, et le manteau, et toute la garde-robe du vieil empire.