Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

radicale n’a de place que pour les radicaux, la nôtre au contraire ne repousse personne, et elle croît que les gouvernemens périssent plus souvent par la défiance que par la trahison.

Il y a quelques mois, de telles offres auraient été accueillies avec dédain par les monarchistes. Il n’en est plus tout à fait de même à l’heure présente. Quelques-uns d’entre eux ont donné l’exemple, et peu à peu le groupe des conservateurs libéraux se rapproche de celui des conservateurs républicains. Il faut avouer qu’ils ne se résignent pas de très bonne grâce. Ils viennent en maugréant, en exhalant leur amertume par des récriminations quotidiennes, en saisissant toutes les occasions de malmener la république : ils font un demi-pas en arrière pour chaque pas qu’ils ont fait en avant ; mais enfin leur désir secret, visible à travers leurs plaintes mêmes, est d’entrer en arrangement avec la république. Seulement ils ont une manière originale d’entendre la république conservatrice, celle du moins à laquelle ils accorderaient peut-être leur concours. A leurs yeux, la république conservatrice doit être une ligue défensive et offensive de tous les républicains du lendemain contre tous les républicains de la veille. Ils voudraient qu’en retour de leur adhésion, on leur assurât, pour ainsi dire, la mise hors la loi des radicaux, qu’on jurât de les combattre systématiquement, éternellement, quoi qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, et qu’on les empêchât d’arriver au pouvoir par tous les moyens. Ils vaudraient que M. Thiers rassurât la France en prenant avec les radicaux l’attitude d’un saint Michel terrassant le dragon. Si la république ne leur garantit pas la destruction du radicalisme, elle est, disent-ils, convaincue d’impuissance, et c’est perdre sa peine que de la soutenir. C’est une dernière sommation qu’ils lui adressent ; qu’elle les satisfasse sur-le-champ, ou bien ils vont retourner à la monarchie.

Eh bien ! qu’ils y retournent, s’ils ne sont pas plus sages. Se figurent-ils donc que la monarchie, quand même ils seraient parvenus à la relever, les mettrait éternellement à l’abri des idées radicales ? Peuvent-ils croire sérieusement que la présence d’une royauté réduirait le parti révolutionnaire à l’impuissance ? Ce parti ne sera-t-il pas cent fois plus redoutable quand la haine commune de la monarchie lui donnera pour alliés tous les républicains honnêtes, qui se retourneront contre lui, sous la république, toutes les fois qu’il menacera l’ordre légal ? Quelle vertu miraculeuse attribue-t-on à l’institution monarchique ? S’imagine-t-on qu’il y ait un système d’institutions politiques qui assure aux nations le bienfait d’un repos éternel, et qui les dispense des luttes salutaires et quotidiennes, des nobles. et souvent pénibles travaux de la liberté ? Eussions-nous en monarchie, et en monarchie aussi conservatrice,