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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/386

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Il s’élève à la fois au-dessus du point de vue étroit qui ne comprend que le passé, ne songe qu’à le restaurer, et du point de vue purement révolutionnaire, qui ne sait que faire table rase de ce passé pour reconstruire un édifice de carton, ne tenant à rien et tombant au premier souffle. Le jeune auteur voit dans l’histoire d’une nation, comme dans celle d’une personne, un développement régulier dont le progrès a pour condition la continuité. Aucune période de la vie nationale ne peut être réellement détachée des périodes antérieures qui la contenaient en germe, aucune non plus ne doit être considérée comme définitive, puisqu’à son tour elle est le laboratoire où se forment les germes des périodes futures. Cette théorie, dont la vérité est aujourd’hui reconnue par tous ceux qui ont le sens de l’histoire, se rattachait aux vues originales développées en 1814 par Savigny dans un ouvrage célèbre sur la philosophie du droit, et l’auteur est toujours demeuré fidèle à ce point de vue, si étroitement lié à l’aptitude organisatrice qu’il déploya plus tard. Seulement, quand on le surprend tout enchevêtré encore dans les lourdeurs alambiquées de la dialectique allemande, qui devait longtemps passer pour la forme scientifique et philosophique par excellence, quand on voit cet esprit, naturellement clair et précis, emmailloter sa pensée dans les formes opaques où se délectaient alors les gens à prétentions savantes, on a de la peine à deviner le futur ministre qui puisera l’un de ses grands élémens de puissance dans la netteté, le caractère positif et sobre de ses vues politiques. Évidemment ce déguisement scolastique était chez lui quelque chose de juvénile, un genre adopté, dont il devait un jour s’émanciper.

Nous le voyons en effet dès 1825 dépouiller déjà en partie cette forme allemande qui vise à la profondeur et n’aboutit trop souvent qu’à être creuse, dans un travail remarquable que, de retour dans son pays natal, il publia sur le Droit et l’État. Il s’efforce de concilier le droit de l’individu et celui de la société en relevant le principe moral dont ils dérivent tous deux. Sa réputation grandissante lui valut la chaire des sciences politiques à l’université de Gand, et le diplôme honoris causa de docteur en droit à celle de Leyde, où il professa l’histoire du droit romain, celle du droit néerlandais et le droit administratif. À cette période appartient un autre ouvrage sur les changements survenus depuis la révolution française dans le système général des états de l’Europe[1]. Là encore on ne découvrirait pas du premier coup le futur

  1. Over de verandering van het algemeen staten-stelsel van Europa, sedert de Fransche omwenteling ; Leyde 1831.