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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/39

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qu’ils veulent se faire une espèce de monopole de la république, comme les bonapartistes le feraient de l’empire ou les légitimistes de la royauté. Or une telle conduite de leur part serait la mort de la république elle-même et la ruine des progrès qu’ils espèrent accomplir avec elle. Un parti dont les idées se réalisent et passent dans le domaine public cesse par là même d’être un parti, et ne doit plus en conserver le langage. Si les radicaux ne sont pas encore décidés à s’effacer derrière leurs idées, s’ils veulent garder au gouvernement les allures et les prétentions d’une faction victorieuse, c’est une raison de plus pour les écarter du pouvoir, car ils sont alors les plus dangereux ennemis de la république.

Il faut le répéter sans relâche aux républicains comme aux conservateurs, la république est la chose de tous, et ne saurait être l’œuvre d’une faction. Qu’elle ne commette point l’imprudence de s’isoler au milieu du pays ! Qu’elle n’ait point la forfanterie de repousser l’adhésion des nouveau-venus. Ce sont les conversions de la dernière heure qui lui apporteront le plus de force et d’autorité. C’est l’aveu d’impuissance de ses adversaires qui sera le gage de sa durée et de sa sécurité future. Ainsi l’assemblée nationale n’a certainement aucune envie de proclamer la république, et il est bien tard aujourd’hui pour lui en donner le conseil ; ce consentement tardif ne semblerait pas assez libre, et passerait plutôt pour un acte de faiblesse que pour un acte de souveraineté. Pourtant, si par hasard elle s’y décidait, les républicains sensés n’auraient pas à s’en plaindre. Quel témoignage de la nécessité de la république, quelle garantie pour son avenir et pour sa sûreté, que de la voir acceptée par ses pires ennemis ! La république adoptée de guerre lasse par les hommes qui l’ont tant combattue, votée, même in extremis, par l’immense majorité d’une assemblée monarchique, à la condition toutefois que cette assemblée n’essayât pas de s’éterniser au pouvoir, cette république-là serait indestructible et à l’abri de tout danger de réaction. Les conservateurs, qui l’auraient fondée, ne pourraient plus la répudier ; les assemblées suivantes la modifieraient sans doute, mais son existence même ne pourrait plus être remise en question. Si rien de pareil n’est à espérer de l’assemblée nationale prise en corps, au moins ne faut-il pas repousser gratuitement les adhésions individuelles, lors même qu’elles sont plus empreintes de résignation que de zèle. Il ne faut pas que les conservateurs puissent se plaindre un jour que la république ait été faite sans eux et contre eux. S’ils se sentaient plus tard tentés de la renverser, il faut que l’on puisse leur opposer leurs propres promesses et leurs propres actes.

C’est un mauvais calcul que de préférer des ennemis déclarés à