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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/402

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il demandait que la capacité intellectuelle fût admise à côté du cens comme base du droit électoral, Il est fâcheux que, sur ce point, il n’ait pu triompher des inconcevables préjugés qui presque partout empêchèrent les censitaires d’élever cette digue inoffensive et salutaire contre les débordemens du suffrage universel. Aujourd’hui les Néerlandais voudraient élargir le droit électoral sans en venir à cette redoutable extrémité ; mais tout ce qu’ils pourront faire sans sortir de la constitution sera d’abaisser le cens dans quelques localités. Thorbecke aurait même voulu que la première chambre disparût de la constitution ; il craignait, et la suite prouva qu’il ne se trompait pas, qu’elle ne jouât toujours un rôle très effacé à côté de la seconde. Cependant nous serions de ceux qui pensent que, telle qu’elle est, les services qu’elle rend sont réels. Il se prononça de plus contre l’obligation dont l’état se chargeait en garantissant aux ministres des divers cultes le maintien de leurs traitemens : sans vouloir changer brusquement une situation à laquelle se rattachaient des intérêts respectables, il eût désiré que l’état ne se liât pas les mains. En somme, ses vues essentielles triomphèrent, et l’on peut bien dire que la nouvelle constitution fut son œuvre.

L’année 1849 le vit ministre de l’intérieur et appelé en cette qualité à élaborer les nombreuses lois d’organisation nécessitées par le nouveau régime. On se fait difficilement une idée de sa prodigieuse activité. Étudiant tout, voulant tout connaître à fond, faisant travailler rude ses employés comme il travaillait lui-même, toujours sur la brèche devant les chambres, stimulant ses collègues, respectueusement tenace avec la couronne, imprimant une vigoureuse impulsion à toutes les branches d’une administration devenue un peu somnolente sous ses prédécesseurs, Thorbecke fut pour ses compatriotes pendant plus de vingt ans l’homme d’état par excellence, et il le fut dans l’un des pays où il est le plus difficile de s’imposer comme chef de parti ou d’école. Il parvint à dominer ses adversaires et, ce qui peut-être lui coûta le plus de peine, ses propres amis. Parmi les lois importantes qui lui sont dues, nous citerons la loi électorale, la loi provinciale, la loi organique des communes, celles sur la chasse, la pêche, l’expropriation pour cause d’utilité publique, l’instruction secondaire. Cette dernière loi a couvert le pays d’écoles civiques supérieures, aujourd’hui en pleine prospérité. C’est à lui en grande partie que sont dus les gigantesques travaux qui ouvriront bientôt de nouvelles voies maritimes aux grandes villes de commerce, l’organisation de l’exploitation des chemins de fer de l’état, la loi sur l’exercice de la médecine. De concert avec son ami Betz, grande capacité financière trop tôt enlevée à son pays, il