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succès inespéré du dernier emprunt, où, moins d’un an après un précédent appel au crédit de 2 milliards 1/2, lorsque 3 milliards 1/2 étaient de nouveau demandés, les souscriptions se sont élevées à 43 milliards. Deux ou trois mois après cette émission, le trésor, par voie de libération anticipée, avait déjà reçu la moitié de la somme demandée ; en même temps, toutes les sociétés de crédit voyaient leurs comptes de dépôts s’élever, et le comptant sur les différentes bourses enlevait les titres de la rente dans des proportions inusitées. Il ne faut pas cependant s’abuser sur ces premiers symptômes ; beaucoup de ces libérations anticipées cachent des opérations d’arbitrages qui ne constituent point des achats définitifs de rentes, il faudra les liquider un jour, et pour cela il importe que la spéculation à a baisse ne prévale point ; on doit ensuite reconnaître que ce sont les dernières portions des emprunts qui se classent le plus difficilement. En finance comme en guerre, notre premier élan est admirable et le plus fort ; la réflexion le refroidit. Aujourd’hui c’est d’un effort continu que notre pays a besoin : intérêts des emprunts, dépenses publiques, dépenses privées, reconstitution du capital de roulement, le travail national doit suffire à tout. Heureusement que le champ est vaste, presque illimité, que les besoins individuels sont loin d’être satisfaits, et qu’après cette explosion d’activité et de richesse qui vient d’étonner le monde la France n’est ni épuisée ni même lassée, — au contraire on peut dire que l’ère de l’industrie commence pour elle. Le travail sous toutes les formes, à tous les degrés, n’est-il pas sa ressource suprême, son honneur, sa loi, le devoir inflexible de chaque citoyen ? Non-seulement le travail nous permettra d’obtenir ces trois résultats matériels, en apparence contradictoires, de dépenser plus afin d’être contraints de produire davantage, de payer plus à l’état et de refaire par nos économies le capital de roulement qui nous a été enlevé ; il peut aussi seul donner à nos mœurs politiques la force qui leur manque, et réunir par un lien commun les classes divisées. Sur les questions politiques ou religieuses, on peut douter que l’accord se fasse aisément, l’avenir ne se montre pas sans nuages ; en tout cas, produire sans relâche est le seul moyen d’oublier ces divisions cruelles et peut-être d’en prévenir les effets. Que dans les arts, les sciences, les lettres, comme dans l’industrie, l’agriculture et le commerce, un mouvement universel éclate, que l’oisiveté soit non-seulement proscrite par la morale, mais encore par l’opinion, que chacun soit soucieux d’accroître son capital, de multiplier ses aptitudes, cet égoïsme bien entendu tournera au profit de tous, et les vertus patriotiques du travail nous auront refait de belles destinées.


BAILLEUX DE MARISY.