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que prenaient les deux contractans de s’en tenir à la sentence de l’arbitre et de ne pas en appeler à un tribunal. On arrivait ainsi à investir l’arbitre officieux, l’arbitre constitué par la volonté des parties, d’un pouvoir que n’avait pas l’arbitre officiel, l’arbitre désigné par la cité. La sentence de l’arbitre ou des arbitres (on en prenait souvent trois), terminait alors le litige, pourvu qu’elle eût été rendue après un débat contradictoire. Si l’un des intéressés avait fait défaut, il avait dix jours pour former opposition ; ce délai passé, la sentence devenait définitive et sans appel. C’était au dernier moment, l’affaire instruite, que ces arbitres, avant de prendre le caractère de juges, se liaient par un serment. Sous ces diverses formes, la juridiction arbitrale a rendu chez les Athéniens, comme chez les Romains et dans toutes les sociétés riches et civilisées, de réels et inappréciables services.

Démosthène proposa tout d’abord de confier à des arbitres, choisis parmi les membres mêmes et les amis de la famille, le soin d’examiner ses griefs. Dans la forme ordinaire de l’arbitrage conventionnel, les parties auraient pris l’engagement d’accepter l’arrêt de ces arbitres. Les tuteurs voulaient avant tout ne point se laisser enlever la faculté de porter le débat devant un jury, qui serait toujours plus facile à tromper ; ils refusèrent donc de constituer ce tribunal de famille. On se rendit alors auprès de l’un des arbitres publics de l’année. Les tuteurs n’épargnèrent aucun mensonge pour tâcher de surprendre sa bonne foi : ce fut en vain ; ils ne purent l’empêcher de se prononcer en faveur de leur pupille. Inutile de dire qu’ils déclarèrent aussitôt ne point se soumettre à la sentence arbitrale. Démosthène avait épuisé tous les moyens de conciliation ; il ne lui restait plus qu’à provoquer un débat contradictoire devant le jury athénien. Il déposa donc entre les mains de l’archonte sa plainte ou plutôt ses plaintes : il y en avait trois, une contre chacun des tuteurs. De chacun d’eux, Démosthène réclamait dix talens à titre de dommages et intérêts. On s’est demandé pourquoi il n’avait pas confondu en une seule les trois instances. Il a répondu lui-même à cette question : l’affaire était trop compliquée, dit-il, pour qu’il fût possible de la tirer au clair en une fois ; un seul de ces plaidoyers que la clepsydre renfermait dans de si étroites limites de temps, c’était trop peu pour étudier le rôle et définir la responsabilité de chacun de ses adversaires. On peut soupçonner une autre raison : en séparant les trois procès, le plaignant, avec moins d’efforts, obtenait le même résultat que s’il avait lutté tout ensemble contre ses trois ennemis. Perdait-il contre çelui des trois tuteurs qu’il provoquait le premier, il était averti de renoncer au combat ; gagnait-il au contraire, comme il y comptait bien, les deux autres fripons auraient tout avantage, tant les causes étaient connexes, à ne point affronter