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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/515

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Que le paysan voie et qu’il touche à son aise !
Pain que le bon soleil prépare à sa fournaise !

Mais il faut que l’épi gonflé donne son grain,
Et le ciel dur est trop cruellement serein
Pour qu’on soulève et qu’on abatte dans la paille
Les lourds fléaux de bois sous qui l’aire tressaille.
Aussi le paysan, au beau milieu du rond,
L’air grave, et son chapeau très large ombrant son front,
Le fouet au cou, sifflant des chansons incertaines,
Et derrière son dos changeant de mains les rênes,
Fait tourner sur le blé les chevaux de labour,
Qui, les deux yeux bandés, en trottant, tout le jour,
Foulent avec lourdeur, plus vifs quand le fouet claque,
Le grain qui sous leurs pieds sort de l’épi qui craque.

Midi s’approche, il monte, il invite au sommeil ;
La verdure des pins reflète le soleil ;
La mouche, au corselet d’azur et d’émeraude,
Bourdonne, et le frelon rayé de jaune rôde
Et poursuit les chevaux ennuyés et plus lents.
L’air flotte épais autour des arbres somnolens,
Où, vibrante, accrochée à l’écorce inégale,
Joyeuse de l’été, résonne la cigale ;
Le chaume, coupé ras, montre un sol crevassé,
Et l’horizon entier languit, presque effacé
Sous le rideau tremblant et fin de la lumière
Qui, diffuse, ressemble à de l’or en poussière.

Les chevaux arrêtés, sous le fouet tout à coup
Reprennent, inclinant et relevant le cou,
Leur lenteur fatiguée au rhythme monotone ;
Toute leur peau, qu’irrite une mouche, frissonne ;
Et tels, jusqu’aux jarrets dans la paille enfoncés,
A chaque pas d’un flot d’épis embarrassés,
Ils soulèvent du pied des pellicules fines
Qui, s’envolant, leur vont agacer les narines.
Ils soufflent ; mais le fouet s’est tu ; leur guide est las ;
Plus de jurons sonnant quand ils font un faux pas ;
Immobile et muet, l’homme, comme en un songe,
De l’une à l’autre main fait circuler leur longe,
Et, fermant à moitié ses grands yeux assoupis,
Ne voit plus que l’éclat du ciel et des épis,
Un flamboîment brutal entrant sous sa paupière,