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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/523

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sympathisait presque ouvertement avec les rebelles ; mais les radicaux ne tardèrent pas à voir que le général Grant, comme on dit familièrement, n’était pas leur homme. Ils s’en aperçurent trop bien lors de l’entrée en fonctions du nouveau président. Les comités réunis des deux chambres du congrès, chargés du dépouillement des votes du collège électoral, étant venus, suivant l’usage, lui annoncer officiellement son élection, il évita soigneusement de s’engager avec les radicaux. Interrogé sur le choix de son ministère, il répondit par ces paroles significatives dans leur embarras même : « j’ai toujours trouvé qu’il était indélicat d’annoncer ou même de prévenir d’avance les gentlemen que je songe à appeler au ministère, avant que la déclaration officielle de l’élection n’ait eu lieu dans le congrès ; si je le disais d’avance, on ferait des efforts pour changer ma détermination : j’ai donc résolu de ne rien dire jusqu’à ce que j’envoie les noms au sénat pour qu’il les confirme. » Cette indépendance jalouse, quoique profondément respectueuse des lois du congrès, ne tarda pas à lui faire beaucoup d’ennemis dans le parti qui venait de le nommer et particulièrement dans le sénat, dont les membres importans, associés par la constitution à l’exercice du pouvoir exécutif, s’étaient flattés de dominer entièrement son esprit. Tous vinrent successivement l’entretenir et lui proposer leurs projets personnels ; tous furent poliment éconduits. Le nouveau président ne voulait pas être l’esclave de ses conseillers intimes. Il ne voulait pas devenir l’instrument docile d’un parti. Il affectait de n’être qu’un homme de bon sens qui accomplit paisiblement sa besogne, et les partis violens devinaient sous ces dehors modestes une de ces volontés calmes et prudentes que rien ne peut entamer ni séduire : Dès ce jour, ils traitèrent le général Grant en ennemi, et lui firent cette opposition sourde qui devait tourner plus tard en guerre déclarée.

Quant à lui, le général Grant n’a jamais voulu s’en apercevoir ; il est demeuré, comme on devait l’attendre de la loyauté de son caractère, l’exécuteur fidèle des résolutions du congrès. Étranger auparavant à la politique, guidé surtout par le sentiment national, et ne se laissant enrégimenter dans aucune des factions dont les querelles avaient déchiré le pays, il s’est entouré, dès le début, des hommes les plus éminens du parti républicain modéré ; il a gouverné pendant quatre ans avec un sang-froid et une impartialité d’autant plus faciles qu’ils servaient son humeur taciturne, son goût pour la silencieuse expédition des affaires et jusqu’à la nonchalance qui est, dit-on, l’un de ses défauts. Son administration n’a pas été certainement irréprochable en toutes choses. Plus accoutumé à la discipline des camps qu’à la diplomatie parlementaire et