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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/533

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Cincinnati ne pouvait être rédigée d’une manière bien significative. Il ne s’agissait plus que de ménager les diverses opinions qu’on s’efforçait de rassembler par ce lien fragile. On proclama en termes généraux l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de race ou de couleur, le maintien de l’union fédérale, de l’émancipation des noirs, des amendemens constitutionnels votés les années dernières, — la suppression de toutes les incapacités politiques établies après la rébellion au préjudice des hommes qui avaient fait partie des gouvernemens insurgés, l’amnistie générale immédiate à tous les anciens rebelles, le maintien jaloux des droits des gouvernemens locaux, le rétablissement de l’habeas corpus pour tous sans distinction de catégorie, la suprématie des autorités civiles sur les autorités militaires, le respect de la liberté individuelle, la restriction du pouvoir fédéral dans la limite de ses attributions nécessaires. — D’autres résolutions, dirigées spécialement contre le général Grant, dénonçaient au pays l’administration civile fédérale, « devenue entre les mains du président actuel un instrument de tyrannie, d’ambition, de démoralisation et de gain personnel. » Pour en finir avec ces abus, la convention de Cincinnati proposait de faire adopter une modification constitutionnelle interdisant à l’avenir la réélection du président. Quant à la question financière et commerciale, qui avait joué un si grand rôle dans la formation du parti libéral, on se bornait, pour ne pas effaroucher le protectionisme de M. Greeley, à quelques déclarations insignifiantes, contre la répudiation de la dette, en faveur de la reprise des paiemens en espèces, contre les concessions de terres vierges aux compagnies de chemins de fer, qui en abusaient pour les revendre trop cher aux émigrans. Une dernière résolution, rédigée, dit-on, par M. Greeley lui-même avec une ambiguïté calculée, se prononçait en faveur « d’un système de taxation fédérale qui ne touchât pas sans nécessité à l’industrie nationale et qui fournît les ressources nécessaires pour payer les dépenses d’une administration économe, les pensions, les intérêts de la dette publique, en opérant une réduction modérée de cette dette, » et, reconnaissant qu’il y avait dans le sein de la convention d’honnêtes, mais irréconciliables différences d’opinion sur le sujet de la protection ou du libre échange, « réservait la décision de ces matières au peuple assemblé dans ses comices et au congrès élu par le peuple, sans nulle intervention ni influence du pouvoir exécutif. » On se contenta de cette promesse de neutralité mutuelle, aussi peu sérieuse que peu sincère.

En revanche, la convention de Cincinnati se dédommagea des inévitables timidités de son programme en frappant à tour de bras sur le général Grant. Elle rédigea une sorte de proclamation officielle qui n’était d’un bout à l’autre qu’une déclamation furibonde