Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à laquelle les partisans de Grant et de Greeley allaient se livrer pendant plusieurs mois sur le corps de leurs candidats respectifs, et qui devait rester célèbre par un débordement d’injures encore sans exemple, même dans ce pays du gros langage et de la calomnie sans conséquence.


II

La lutte électorale commençait à peine, et déjà la cause de M. Greeley était bien compromise. Les démocrates étaient loin d’être satisfaits du choix de la convention libérale, et malgré les flatteries que l’opposition leur avait faites, semblaient disposés soit à désigner à leur tour un candidat de leur opinion, soit même, à défaut de candidat possible, à donner leurs voix au général Grant. Le comité national exécutif démocratique s’était réuni à New-York le 8 mai, au lendemain des manifestations de Cincinnati, sous la présidence du banquier Auguste Belmont, et il avait décidé qu’une convention démocratique se rassemblerait le 9 juillet à Baltimore. Une motion d’ajournement indéfini, faite par un partisan de Greeley, avait été repoussée sans discussion sérieuse. Les démocrates en effet ne pouvaient se croire engagés par la convention de Cincinnati, où n’avaient figuré qu’un très petit nombre des leurs, et ils craignaient d’être dupés par les radicaux. De leur côté, les free-traders (libres échangistes) disaient hautement qu’on les avait trompés, et se préparaient à choisir eux-mêmes un autre candidat que M. Greeley. L’organisateur de la convention de Cincinnati, le général Schtirz, quoique visiblement chagrin de la voie où l’on était entré, restait fidèle aux résolutions prises, et cherchait à rallier les mécontens ; on remarquait avec étonnement que, dans aucun de ses discours en faveur de la candidature de M. Greeley, il ne s’était décidé à faire l’éloge personnel de ce candidat. Il le recommandait platoniquement, par esprit de discipline, et évidemment faute de mieux.

Les républicains restés fidèles au général Grant jugèrent que le moment était venu d’entrer en scène. Ils se rassemblèrent en convention le 5 juin à Philadelphie. Leur choix était tout fait, leur programme n’avait pas varié, et il ne s’agissait pour eux que de les proclamer. Aussi la réunion eut-elle moins le caractère d’une délibération politique que d’une cérémonie officielle et d’une fête à grand orchestre, dont tous les détails, réglés d’avance, s’exécutèrent avec la plus rigoureuse discipline. La convention s’assembla dans la salle de l’Opéra, décorée pour la circonstance de drapeaux, de fleurs et de feuillages, encadrant les portraits de Washington, de