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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/548

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bon sens à leurs anciens compagnons d’armes. M. Garrison, qui avait dévoué toute sa vie à la destruction de l’esclavage, avait au moins autant de droits à la confiance des affranchis que l’écrivain bavard et intempérant de la Tribune, pour qui la cause de l’abolition de l’esclavage n’avait-guère été qu’une thèse littéraire et un moyen de popularité. Il le lui dit avec une rude franchise, et déclara que l’alliance des libéraux, républicains avec les démocrates n’était qu’une « monstrueuse imposture. » Il alla jusqu’à traiter Greeley d’homme politique imbécile, sans principes et sans conscience. M. Blaine, speaker de la chambre des représentans, écrivit également à la lettre de M. Sumner une réponse qui eut un grand retentissement. Il lui rappela l’attaque brutale dont il avait été victime dans le congrès de la part d’un homme du sud ; il lui représenta avec beaucoup de sagesse que l’élection de Greeley aurait pour résultat de donner la majorité du congrès aux démocrates, ce qui obligerait le nouveau président à les faire entrer dans son ministère et à se laisser diriger par eux, quelles que fussent d’ailleurs ses bonnes intentions personnelles. Il lui reprocha surtout de se déclarer, avec M. Greeley, contre l’indispensable intervention du gouvernement fédéral dans les états du sud. Qu’était-ce à dire en effet, sinon que le congrès cesserait de protéger les affranchis et de veiller par des lois nouvelles à l’exécution des derniers amendemens à la constitution fédérale ? Il ne suffisait pas qu’une constitution fût écrite sur le papier ; il fallait aussi qu’elle fût appliquée, grâce à la législation intelligente du congrès et à la vigilance du gouvernement. C’était ce que faisait le général Grant en gouvernant d’accord avec le parti républicain. M. Greeley ne pouvait faire la même chose, puisqu’il devait gouverner en s’appuyant sur les démocrates. Il fallait considérer non pas seulement les hommes, mais la cause que l’on voulait servir. Dans tous les cas, il était périlleux de rendre aux gouvernemens locaux des droits illimités dont l’anarchie serait la conséquence dans la plupart des états du sud.

Ces argumens étaient sans réplique, et M. Sumner ne riposta que faiblement. N’était-ce pas en effet un démocrate, un copperhead, presque un rebelle, M. Horace Seymour, le compétiteur malheureux du général Grant aux élections précédentes, qui était déjà désigné pour remplir le poste de secrétaire d’état dans le futur cabinet du président Greeley ? D’ailleurs, comme le disait le général Dix, l’homme qui au moment de la sécession était d’avis, comme beaucoup d’abolitionistes, de « laisser les états du sud se retirer en paix, » pouvait-il briguer sans rougir la présidence de cette union fédérale qu’il avait sacrifiée de si bon cœur ? L’intervention de l’orateur nègre Fred. Douglass, pourtant l’ami personnel de M. Sumner,