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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/557

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que dans l’espoir de détruire le suffrage universel, c’est-à-dire l’égalité des races. Peut-être le général Grant n’a-t-il rien d’un homme de génie ; peut-être sa conquête politique des états du sud mérite-t-elle le reproche qui fut adressé jadis à sa conquête militaire : elle est lente et laborieuse. Dans tous les cas, elle est prudente et sûre ; entre les mains de ce nouveau Fabius, la paix publique se consolide graduellement, tandis qu’elle serait compromise par la politique aventureuse et impatiente que M. Greeley représente.

Quant aux affaires diplomatiques, l’administration du général Grant, qu’elle eût été habile ou malhabile, venait certainement de remporter sur l’Angleterre un succès signalé. Malgré l’imprudence ou la mollesse dont ses adversaires l’avaient accusée tour à tour, elle venait de régler au profit des États-Unis deux différends graves, qui avaient longtemps inquiété l’opinion publique. Peut-être avait-elle montré trop d’exigence en réclamant à l’Angleterre, outre l’indemnité due pour les brigandages commis par le corsaire confédéré l’Alabama, des dommages-intérêts indirects pour le tort causé par ces brigandages au commerce américain, obligé de restreindre ses affaires ou de s’abriter sous pavillon étranger. Ces réclamations excessives étaient une concession mal entendue à l’arrogance nationale, car elles ne pouvaient être prises au sérieux ni par l’Angleterre ni par les arbitres que les deux nations s’étaient donnés. Il est probable qu’en poussant les choses à ce point extrême, l’administration du général Grant s’était moins inspirée du véritable intérêt du pays que de son propre intérêt électoral, et qu’elle avait sacrifié quelque peu à cette popularité banale qu’on obtient toujours dans la grande république en menaçant les monarchies du vieux monde. L’Angleterre en effet s’était refusée à satisfaire d’aussi exorbitantes prétentions et à soumettre aux arbitres siégeant à Genève des questions que le droit international ne permettait même pas de leur poser. Elle avait offert au cabinet de Washington, en place des satisfactions demandées, la garantie d’un traité additionnel conclu sur la base d’une neutralité mutuelle et d’un renoncement anticipé à tous dommages-intérêts provenant de causes indirectes, tant de la part de l’Angleterre que de la part des États-Unis. Le gouvernement américain, sentant qu’il s’était trop avancé, mais n’osant céder dans une question d’amour-propre qui devenait aussi pour lui une question électorale, avait insisté pour que les dommages indirects fussent soumis à l’appréciation des arbitres de Genève, tout en stipulant que pareille chose ne pourrait plus se faire à l’avenir. Malgré les justes protestations du cabinet de Londres, le général Grant avait persisté dans sa demande, et après plusieurs essais infructueux de conciliation le traité en vertu duquel se