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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/566

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LES SOUFFRANCES
D’UN PAYS CONQUIS
SCÈNES DE L’ÉMIGRATION EN ALSACE-LORRAINE

La force ne résout pas tous les problèmes ; il ne suffit point d’obtenir, par un traité dont on dicte en maître les conditions, la propriété de deux provinces ; après les avoir conquises sans les consulter, il faut assurer cette prise de possession par des conquêtes morales, plus difficiles à réaliser que des conquêtes matérielles. Depuis près de deux ans que la Prusse possède l’Alsace et une partie de la Lorraine, au moment où elle prépare le recensement officiel de ses nouveaux sujets, il n’est point inutile de se demander ce que lui rapporte sa victoire et de quel prix elle la paie. Les pierres de Metz et de Strasbourg lui appartiennent ; nos forts, nos remparts, nos arsenaux, nos immenses casernes, notre école d’application d’artillerie et du génie, nos magnifiques établissemens militaires, sont entre ses mains ; mais les âmes lui appartiennent-elles, a-t-elle gagné les populations à sa cause et fait accepter son pouvoir par ceux qu’elle a conquis ? Y a-t-il eu l’ombre d’un rapprochement entre les vaincus et les vainqueurs ? Entrevoit-on dans un avenir même éloigné la possibilité d’une réconciliation entre l’Alsace-Lorraine arrachée malgré elle à la France et l’Allemagne victorieuse ? Les faits seuls répondront à cette question : on veut mettre ici de côté toute récrimination stérile, on essaiera même de contenir l’indignation la plus légitime ; le simple récit de ce qui se passe dans les pays annexés suffira pour éclairer l’Europe. Les victimes innocentes de la guerre ne cherchent à surprendre la pitié de personne ; elles n’ont besoin pour être entendues ni d’exagérer leurs souffrances, ni de dénaturer la conduite de leurs nouveaux maîtres.