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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/595

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LES SOUFFRANCES D’UN PAYS CONQUIS.

raient prises ; tantôt ils invoquent tout à coup un texte allemand auquel leurs justiciables sont condamnés à se soumettre ; tantôt, si une difficulté sérieuse se présente, ils n’osent se prononcer, demandent du temps, consultent l’oracle de Berlin et attendent indéfiniment qu’il lui plaise de répondre. Il n’y a qu’un cri en Alsace-Lorraine contre la lenteur et l’irrégularité de l’administration allemande. Les dossiers administratifs s’accumulent dans les bureaux sans que les questions les plus urgentes reçoivent une solution. Un nombre d’employés plus considérable ne réussit point à terminer une besogne qui, sous le régime français, exigeait moins de monde et moins de temps. On accuse quelquefois, non sans motifs, notre administration d’abuser des circulaires et de multiplier les paperasses ; elle en paraîtrait économe, si on la comparait à l’administration allemande, une des plus paperassières qui soient au monde. Bien des intérêts dont la Prusse avait promis de s’occuper demeurent ainsi en suspens et en souffrance ; la liquidation des monts-de-piété, des caisses d’épargne et de retraite subit d’inexplicables retards ; on ne peut obtenir non plus qu’elle rembourse les cautionnemens versés, comme elle en avait pris l’engagement. Les Allemands auraient-ils été détournés des affaires civiles par l’attention trop exclusive qu’ils donnent aux choses militaires ? Leur esprit un peu pesant se refuserait-il à l’intelligence rapide des questions administratives et aux promptes décisions ? L’obéissance rigoureuse à laquelle tous les employés sont astreints sous le régime prussien les porte à la circonspection plus qu’à l’activité. Ils craignent avant tout de se compromettre et de mécontenter leurs chefs. Là comme dans l’armée, c’est la terreur qui règne. Chaque service public est organisé comme un régiment ; quiconque désobéit est déplacé sur l’heure ou révoqué sans pitié. De là le perpétuel besoin de recourir dans les cas douteux à l’autorité supérieure et la crainte qu’éprouve chacun d’engager sa responsabilité. Cette prudence salutaire sous les armes produit-elle d’aussi bons effets dans l’administration ? N’émousse-t-elle pas les intelligences en les habituant à ne rien oser, à toujours dépendre d’un maître ou d’un règlement écrit qui ne peut tout prévoir ?

Quel que soit le motif de leur infériorité, presque partout en Alsace-Lorraine, les employés allemands remplissent leurs fonctions moins heureusement que ne le faisaient avant eux les employés français. Sur un seul point, ils nous ont tout de suite égalés et peut-être dépassés : il s’agit de la perception des impôts, plus lucratifs pour le trésor d’après le système français que d’après le système allemand. On se figurerait difficilement avec quelle rapidité et quel soin les agens des finances envoyés d’Allemagne pour cet objet se sont mis au courant de toutes les sources de revenus, quelle peine