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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/713

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s’étonne des développemens subtils qui se trouvent dans les tragiques ou chez les philosophes, même chez les plus illustres ; ce sont des concessions au goût national. Sophocle et Platon eux-mêmes ne devaient pas toujours en être choqués.

Il est curieux que la grammaire ait été de tout temps une étude favorite pour les Grecs ; ils l’étudient de nos jours avec soin. Ils n’ont pas trouvé les lois savantes que la philologie moderne a établies ; ils ont cependant été très loin dans l’analyse du langage, de la syntaxe et aussi du raisonnement par déduction. Les connaissances de cet ordre leur sont utiles pour les discours auxquels ils se plaisent, elles leur fournissent le sujet de nombreux développemens, ce peuple a toujours été un maître de dialectique ; par contre les études d’observation, les sciences inductives, si on excepte Hippocrate et Aristote, ne l’ont pas séduit. Une race qui a deux mille ans de culture intellectuelle et qui n’a jamais, connu la torpeur de l’esprit n’a pu trouver ces procédés si simples qui, connus chez nous dès que la pensée sortit de l’incertitude du moyen âge, restent une des marques les plus importantes du génie propre à l’Occident, peut-être même le signe principal qui marque la distinction des temps modernes et des temps anciens.

L’un des esprits les plus élevés que possède la Grèce moderne, M. Paparigopoulos, s’arrêtant au milieu de la grande œuvre nationale qu’il consacre à l’histoire de l’hellénisme pour considérer le caractère de la race, dit qu’un des malheurs du génie grec est d’avoir toujours mis dans son estime le mérite intellectuel au-dessus du mérite moral. Photius et Thémistocle sont des exemples qu’il cite naturellement. Il cherche ainsi à pallier un des défauts que l’on reproche le plus à cette nation. Il est certain que le principe moral paraît ne pas s’imposer avec une rigueur stoïque à la conscience du Grec ; ce peuple cependant est bon, la générosité lui est familière, il est capable de magnifiques dévoûmens. Les actes de brigandage ne doivent pas nous tromper, il est doux et humain, il ignore la méchanceté longuement suivie, la cruauté froide : peu d’idées élevées le trouvent insensible ; mais il en est naturellement pour lui du principe moral comme de l’affection et de la haine, l’idée du devoir ne saurait être établie chez l’Hellène sur des bases inébranlables. Toutes ces erreurs, toutes ces légèretés de conduite, ne supposent jamais une déloyauté voulue. Le Grec joue avec les idées morales comme avec les syllogismes ; il se plaît dans ces subtilités de conscience où il perd la vue nette du bien. Cette sophistique ne l’aveugle jamais sans retour, à moins qu’elle ne soit au service de rares sentimens qui exercent sur lui un empire absolu.

Le Grec éprouve fortement deux fassions ; il a un singulier