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nationale. Dans le royaume de Grèce, le peuple se refuse à voir que le moyen le plus sûr de justifier de grandes ambitions et d’en assurer le succès serait d’imposer à l’Europe une estime profonde pour un gouvernement régulier et prospère. Toute la politique extérieure des cabinets sans nombre qui se succèdent à Athènes consiste tantôt à témoigner d’une rigueur vaniteuse à l’égard des puissances étrangères, bien qu’à la longue le mauvais droit qui n’est pas soutenu par la force ait peu de chances de succès, tantôt à témoigner pour ces mêmes puissances d’une condescendance qui ne garde pas de mesure. De temps en temps, un manifeste annonce à l’Europe que les raïas se soulèvent, et lui rappelle tous ses torts envers la Grèce ; aussitôt l’enthousiasme, la crédulité trop facile de la presse athénienne, nous apprennent chaque jour des événemens dont le lendemain démontre la fausseté. Tous les défauts des Grecs paraissent alors avec éclat, et nous prenons gravement en flagrant délit de mensonges une nation qui croit elle-même tout ce qu’elle invente. Nous relevons le peu de convenance de ses notes diplomatiques, la forme naïve de ses raisonnemens, l’injustice de ses appréciations ; nous acceptons le rôle facile d’accusateurs, et les adversaires les plus injustes de la Grèce ne sont pas sans se faire écouter.

Quand l’histoire rencontre une race qui a traversé sans mourir les catastrophes les plus graves, qui a résisté à toutes les atteintes, qui conserve, après tant de siècles d’esclavages divers, sa langue, aussi vieille qu’Homère, des mœurs et une forme d’esprit que nous retrouvons dans le plus lointain passé, et d’éternelles espérances, le sentiment de respect que nous éprouvons ne doit rien à un enthousiasme facile ; il est justifié par le spectacle si différent que nous offre la vie des autres nations. Le premier mérite des Grecs est de n’avoir pas péri. Comme Israël a vécu parce qu’il possédait au plus haut point l’absolue confiance dans la dignité de ses sentimens religieux, les Grecs ont dû de ne pas mourir à l’estime qu’ils avaient pour leurs qualités intellectuelles, à leur passion de l’indépendance. Semblables au peuple de Dieu en ce sens, qu’ils ont été comme lui les maîtres de notre éducation, ils en diffèrent en cela, qu’ils sont plus nombreux et qu’ils ont toujours poursuivi des projets de politique terrestre. Ils attendent non pas le Messie, mais la liberté de toute leur race. Ils l’attendent depuis près de dix-huit siècles, et on voit déjà que tout n’est pas chimère dans ces espérances. Ils savent bien, même quand ils se plaignent de l’Occident, que, vivant des œuvres de leur passé, nous avons fait avec eux un traité d’amitié qui a pour garant de notre part une reconnaissance déjà vieille, ils savent aussi qu’enthousiastes comme ils le sont des