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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/733

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été heureux de trouver quand il l’a fallu, et qui fait de lui, après tout, le représentant le plus éminent de la France devant l’Europe et devant le monde. Que M. le duc d’Audiffret, M. le duc de Broglie, le général Changarnier, M. Batbie et tous ceux qui avaient déjà leur place dans le « gouvernement de combat » se préoccupent des progrès et des menaces du radicalisme, ils ne sont pas les seuls. Oui sans doute, c’est un danger dans la situation actuelle de la France ; mais est-ce bien sérieux de se tourner avec une sorte d’air effaré vers le pouvoir pour lui demander des déclarations et des professions de foi conservatrice ? Est-ce sérieux de saisir le prétexte d’une manifestation particulière pour venir sommer M. le président de la république de dire qu’il n’est pas avec les radicaux ? Qui donc a pu croire cela ? M. Thiers n’avait certes pas besoin de le répéter ces jours derniers encore. Ses opinions, son passé, ses actes, sont assez clairs. Convenons-en, c’est le plus étrange oubli des plus simples égards et de la dignité même du gouvernement de venir demander à l’homme qui est le chef de ce gouvernement, qui a dompté la commune, qui depuis deux ans passe sa vie à maintenir l’ordre, des garanties nouvelles contre toute connivence avec les révolutionnaires. Et s’il arrive que M. Thiers, au milieu des difficultés qu’on lui suscite, rencontre quelquefois l’appui de la gauche dans un scrutin, qu’est-ce que cela prouve ? Est-ce que l’extrême droite ne votait pas tout récemment encore avec les radicaux ? Si le gouvernement ne se hâte pas de bouleverser l’administration, de changer tous les fonctionnaires, tous les préfets qu’on lui signale comme suspects, cela veut-il dire qu’il favorise le radicalisme ?

On sait bien évidemment à quoi s’en tenir. On sait bien que M. Thiers n’est pas plus révolutionnaire que ceux qui l’accusent. Soit, dit-on, c’est un reproche banal et sans portée, M. Thiers n’est pas l’allié du radicalisme ; mais il s’est prononcé pour la république dans son message, il a violé ainsi le pacte de Bordeaux, il a manqué à la parole qu’il avait donnée de ne préparer aucune solution définitive. Où est-il donc ce pacte de Bordeaux qu’on invoque aujourd’hui ? Ah ! sans doute, c’était, il y a deux ans, une sage et patriotique pensée d’écarter toutes les questions constitutionnelles, de signer ce qu’on appelait la trêve des partis, et de se placer sur un terrain neutre, où toutes les volontés sincères pouvaient se rencontrer pour travailler, en commun à la réorganisation morale, militaire, administrative, financière, de la France. Si on l’avait voulu, si on avait eu assez d’abnégation pour se renfermer dans ce programme, cela pouvait suffire pour quelques années peut-être, et dans tous les cas jusqu’à la libération définitive du territoire. Pour les esprits qui n’ont pas le culte des étiquettes et le fétichisme des mots, ce n’était pas même une nécessité de s’appeler la république ou la monarchie ; un gouvernement, qui se serait couvert uniquement du grand nom de la