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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/777

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le midi. C’est là, à l’abri de Besançon, que devaient être réunies des forces suffisantes, qui auraient pu être organisées, disciplinées, exercées, et qui seraient devenues rapidement la véritable armée de l’est, toujours menaçante d’abord pour l’invasion dans la vallée de la Saône, puis destinée à se jeter à l’heure voulue sur les communications allemandes. C’était là du reste, dès le premier moment, l’idée d’un officier distingué, le colonel de Bigot, chef d’état-major de la division, qui disait : « La position militaire de Besançon est admirable pour tenter une diversion dans l’est, changer le théâtre de la guerre et frapper un grand coup. Paris a assez de vivres pour résister jusqu’au mois de février, et Belfort tiendra encore trois mois. Mettant à profit ce délai, nous pourrions approvisionner largement la ville, achever les fortifications et établir autour de Besançon un vaste camp retranché pour y recevoir un grand nombre de troupes qu’on organiserait et disciplinerait. » Il s’agissait toujours dans ce plan d’une expédition de l’est, mais « sans qu’il fût besoin d’affaiblir les armées de la Loire. »

On n’en fit rien. Il fallait s’agiter, remuer des masses, avoir surtout l’air de « faire quelque chose. » Au lieu de coordonner les moyens d’action dont on pouvait disposer, on les confondait, on les déplaçait, et après avoir, au mois de novembre, rappelé de l’est le peu d’armée qu’il y avait, le 20e corps, en laissant Garibaldi « unique gardien de nos intérêts, » on se trouvait conduit en décembre à jeter dans l’est une partie de l’armée de la Loire, ce qu’on appelait désormais la « première armée de la Loire. » Cette armée promise à un si grand malheur, elle se composait des corps plus qu’à demi désorganisés qui s’étaient repliés vers le centre, vers Bourges, après les désastres d’Orléans aux premiers jours de décembre, et elle venait d’être mise sous les ordres d’un des chefs les plus populaires, le général Bourbaki, arrivé depuis peu sur la Loire.

Toujours jeune avec ses cinquante-six ans, esprit brillant et fin, cœur chaud et impétueux, caractère franc et résolu, Bourbaki était certes l’homme le mieux fait pour conduire une entreprise hardie dans des conditions moins contraires. Il avait été tout récemment le héros involontaire d’une histoire à demi romanesque. Dernier commandant de la garde impériale et enfermé avec elle à Metz, il était sorti de la citadelle lorraine vers la fin de septembre dans des circonstances assez mystérieuses, à la suite d’une visite faite au maréchal Bazaine par un personnage inconnu se disant accrédité par M. de Bismarck et envoyé par l’impératrice, qui aurait témoigné le désir de voir le maréchal Canrobert ou le général Bourbaki. Bourbaki, informé de cet incident, n’avait demandé aucune mission, il n’en avait réellement aucune ; il avait simplement accepté, le maréchal Canrobert ne pouvant partir, de se rendre en Angle-