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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/783

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mal obéis, faute d’une certaine unité de direction. Les chefs militaires se plaignaient de la lenteur, de la confusion des embarquemens ; les compagnies, qui avaient plus de mille wagons à expédier, se plaignaient qu’on ne leur laissât pas le temps de réunir cet immense matériel, qu’on encombrât leurs voies par imprévoyance, par ce qu’un habile ingénieur, M. Jacqmin, appelle des « mesures erronées ou incomplètes. » Au départ des 18e et 20e corps, dit M. de Freycinet, « l’entente s’est mal établie entre l’état-major de l’armée et les compagnies des chemins de fer… » Par qui donc cette entente aurait-elle dû être établie et maintenue, si ce n’est par l’administration de la guerre elle-même, intervenant pour imprimer l’unité d’action, pour régulariser ces grands transports ? C’est ce qu’on ne faisait pas, et le résultat était inévitable.

Au 19 décembre, l’expédition était décidée. Le 20, les premiers ordres de mouvement étaient donnés pour le lendemain. Le 18e et le 20e corps devaient partir de Bourges, de Nevers, de Saincaize et de La Charité pour Chalon-sur-Saône et Chagny. De Bourges à Châlon, il y avait 248 kilomètres ; de Saincaize à Chagny, il y avait 173 kilomètres. On mit huit jours pour accomplir le mouvement ! C’était bien pire peu après lorsqu’il fallut mettre en route le 15e corps. Le gouvernement évaluait à 32,000 hommes les troupes qu’on devait embarquer ; il y avait plus de 40,000 hommes. Le ministère donnait quarante-huit heures à la compagnie pour exécuter l’opération ; on mit douze jours, traînant tout le long de la ligne sur les voies encombrées. À chaque instant, les trains étaient obligés de s’arrêter, ne pouvant plus avancer. Des détachemens de troupes restaient sur place trente et quarante heures de suite, quelques-uns même trois jours, sans pouvoir descendre, par 12 et 15 degrés de froid, par la neige la plus abondante. Les chevaux mouraient, les hommes finissaient par n’avoir plus de vivres, et ne pouvaient s’en procurer. Tout marchait ainsi, de sorte que les chemins de fer, au lieu d’être un moyen d’accélération, devenaient une complication de plus faute d’être employés avec prévoyance. La lenteur et la confusion des transports militaires préparaient le désordre, plus redoutable encore, du service des approvisionnemens, et même avant d’être entrée en campagne l’armée avait à passer par les plus énervantes épreuves, par toutes les misères d’un voyage meurtrier pour la santé aussi bien que pour le moral des troupes. Un temps précieux avait été perdu, on finissait néanmoins par sortir de ce chaos.

IV.

Voici donc cette armée qui, après avoir quitté Bourges et Nevers le 21 décembre, commence à montrer ses têtes de colonnes dans