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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/852

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chipel préparait à la Grèce, pour la jour de l’insurrection, une marine non moins apte à se transformer.

Les îles d’Hydra, de Spezzia, d’Ipsara, de Caxos, étaient des rochers nus et escarpés ; elles ne possédaient pas de ports ou du moins pas d’abris véritablement dignes de ce nom. Les navires devaient s’y entasser dans quelque anfractuosité de la côte, serrés les uns contre les autres, retenus immobiles par quatre amarres. Ces rochers mettaient cependant en mer chaque année près de quatre cents bâtimens dont le moindre jaugeait de 150 à 200 tonneaux. Entre les quatre îles que je viens de nommer, Hydra occupait plus que le premier rang. Il fallait lui reconnaître une importance à part. Jalouse d’Ipsara, personne n’eût songé à lui donner Ipsara pour rivale. Autant par sympathie que par humilité, Spezzia se rangeait sous sa dépendance. Spezzia en effet était, ainsi qu’Hydra, une colonie albanaise : Ipsara et Caxos avaient été peuplées par une race différente, on y parlait la langue romaïque et les dialectes de l’Epire n’y auraient pas été compris.

L’île d’Hydra est très avantageusement située. Elle commande le passage qui met en communication le golfe de Nauplie et le golfe d’Athènes. Quelques colons albanais, fuyant les exactions du pacha de la Morée, vinrent s’y réfugier dans le courant de l’année 1730. En 1816, une population de 20,000 habitans, dans laquelle on comptait près de 10,000 marins, attestait sur ce roc désolé la puissance fécondante du commerce. Aucun luxe extérieur ne trahissait d’ailleurs la secrète opulence d’une race parcimonieuse et frugale. Le plus riche Hydriote mettait tout son faste à édifier près du bord de la mer une demeure construite sur le modèle des maisons génoises : au rez-de-chaussée, de vastes magasins renfermaient les marchandises ; des caves voûtées ou des puits creusés dans le roc gardaient mystérieusement les monceaux de piastres.

Le gouvernement avait pris, au sein de cette communauté laborieuse, la forme vers laquelle il incline toujours dans la société albanaise. Les familles des premiers fondateurs s’étaient réservé les honneurs municipaux ; elles avaient ainsi constitué à leur profit une oligarchie altière que divisaient malheureusement les rivalités les plus vives. Ces antagonismes donnaient naissance à de perpétuelles querelles ; les Hydriotes sentirent la nécessité de les contenir par une autorité supérieure le jour où ils les virent ensanglanter jusqu’au parvis des églises. Ils demandèrent alors au capitan-pacha un gouverneur qui pût maintenir parmi eux une meilleure police. Ce magistrat suprême, accordé à leurs instantes requêtes, fut choisi parmi (es notables de l’île ; mais, quel que fût le titre dont on le para, il n’en resta pas moins un simple magistrat municipal, à