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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/854

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pagnes avaient prospéré n’avait subi après la conquête ottomane qu’une altération insensible.

Les plus heureux de tous les sujets chrétiens du sultan, les Chiotes, furent aussi longtemps les plus dociles. Beaucoup parmi eux avaient visité l’Europe ; on les citait pour leur instruction et pour leurs vertus domestiques. Il n’était pas rare de rencontrer des Chiotes qui parlaient avec une égale facilité plusieurs langues. La pratique de la médecine leur ouvrit, vers la fin du XVIIIe siècle, l’accès des honneurs officiels ; des emplois importans furent créés pour eux. Les fils des riches marchands de Chio devinrent drogmans de la flotte et drogmans de la Porte, voïvodes des vastes provinces situées au-delà du Danube. L’élément grec eut ainsi une double issue pour arriver aux affaires. Les Chiotes partagèrent avec le haut clergé orthodoxe l’influence que l’intelligence et le travail finissent toujours par acquérir sur une orgueilleuse incurie.

Ce n’était pas avec cette île florissante, ce n’était pas davantage avec les autres groupes de l’Archipel que notre commerce, dont l’activité s’était toujours portée vers les côtes de l’Asie-Mineure, pouvait espérer de renouer des relations de quelque importance. Les îles de Métélin et de Candie fournissaient chacune de 25,000 à 30,000 mesures d’huile. Les navires d’Hydra et d’Ipsara suffisaient pour transporter ces produits à Trieste, en Italie et dans la Mer-Noire ; des vins de liqueur, quelques cargaisons de fruits dont la culture était également propre au midi de la France, représentaient le seul fret que les autres îles auraient pu nous offrir. Nous n’avions ainsi dans l’Archipel grec aucun de ces intérêts positifs dont la protection eût justifié l’entretien d’une station navale permanente ; mais notre pavillon y était alors appelé et retenu par des considérations d’un autre ordre.

De temps immémorial, la protection du culte catholique en Orient avait été un des attributs de la couronne de France. Ce droit, auquel la piété de nos rois avait toujours attaché le plus grand prix, nous créait des devoirs en même temps qu’une situation exceptionnelle. Se détacher de tout, laisser peu à peu, par une dédaigneuse indifférence, se relâcher les liens qui nous unissaient naguère aux autres peuples, eût été un triste moyen de rendre au nom français son prestige. La république elle-même, dans ses plus mauvais jours, avait continué de défendre les établissemens latins de l’Archipel contre les entreprises des autorités musulmanes ou des sectes chrétiennes dissidentes. Les Turcs sont naturellement enclins à respecter les traditions, surtout celles qui ont un caractère religieux. L’exercice du droit qui nous était conféré n’eût commencé à leur causer quelque ombrage que le jour où nous eussions tenté