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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/885

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nord du sommet s’élevait le pilier en briques servant de support au cercle azimuthal, qui dans la géodésie moderne a remplacé le théodolite. De ce point, la vue était incomparable : au sud-est, les montagnes des Albères, plus basses que les Pyrénées, et la côte d’Espagne avec ses découpures nombreuses se succédant sans interruption jusqu’à Barcelone ; au nord-est, la côte de France, formant une courbe régulière et continue jusqu’aux embouchures du Rhône. L’astronome de Zach prétend avoir vu le Canigou des hauteurs de Notre-Dame-de-la-Garde, près de Marseille. Je l’ai aperçu moi-même de la manière la plus distincte au coucher du soleil des bords de la mer près d’Aigues-mortes, à la distance de 180 kilomètres. Quelquefois il est visible de la promenade du Peyrou à Montpellier et des hauteurs voisines de Barcelone. Au nord apparaissent les sommets des montagnes de l’Aude et à l’horizon celles de l’Hérault et de l’Aveyron. Entre la montagne et la mer s’étend la vallée de la Têt, simulant une route blanche et sinueuse : elle aboutit à la ville de Perpignan, surmontée de sa citadelle. Plus près est celle de Prades, dont on distingue les maisons à l’œil nu, et les vallées de Sahore, du Vernet et de Fillos, contrastant par leur belle verdure avec les montagnes dénudées qui les dominent au nord. Vers l’ouest, la vallée de la Têt s’élève vers la forteresse de Mont-Louis, située à 4 665 mètres au-dessus de la mer, et semblable à cette distance aux plans en relief qu’on voit aux Invalides. La route qui y conduit se montre çà et là sur les contre-forts de la vallée. Au sud, les autres sommets du Canigou nous cachaient les cimes lointaines ; mais nos yeux s’arrêtaient souvent sur les trois tentes blanches du campement, hôtellerie provisoire où nous attendaient le soir un frugal souper et un sommeil réparateur.

Ce panorama explique pourquoi le Canigou a toujours été un point géodésique de premier ordre, le sommet du dernier triangle de la méridienne de France et du premier de celle de l’Espagne ; mais combien les savans qui ont précédé les géodésiens actuels devaient avoir de peine à reconnaître au loin les sommets sur lesquels ils avaient placé leurs signaux ! Ces signaux consistaient en une mire élevée au-dessus d’une pyramide en maçonnerie ou en charpente. Cette mire était peinte de différentes couleurs suivant celle du fond sur lequel elle devait se projeter : en blanc quand le fond était habituellement noir, en noir lorsqu’il était blanc. Avec la hauteur du soleil, l’illumination changeait : le matin, l’astre éclairait la partie orientale du signal ; la partie occidentale restant dans l’ombre, l’observateur n’était pas sûr de viser au milieu de la mire ; à midi, l’éclairage n’était plus le même, et le soir il était l’inverse. de celui du matin. En outre la réfraction atmosphérique déplaçait la mire soit dans le sens vertical, soit latéralement. En effet, la ligne qui