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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 102.djvu/971

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nouveaux… Rien ne s’oppose à ce que les modificateurs, agissant sur l’organisme vivant dans certaines conditions, puissent provoquer des changemens capables de constituer des espèces nouvelles, car nous devons concevoir les espèces comme résultant elles-mêmes d’une persistance indéfinie dans leurs conditions d’existence et de nutrition, par suite d’une direction organique antérieure qui leur a été communiquée par leurs ancêtres. En modifiant les milieux intérieurs nutritifs et évolutifs, et en prenant la matière organisée en quelque sorte à l’état naissant, on peut espérer d’en changer la direction évolutive et par conséquent l’expression organique finale[1]. »

Ces remarques du célèbre physiologiste, auxquelles on n’a peut-être pas prêté une attention suffisante, sont dignes cependant d’exciter au plus haut point celle des savans que préoccupe le problème de la transformation des espèces. Assurément le darwinisme n’est toujours qu’une hypothèse. Les partisans de cette doctrine affirment que les espèces vivantes se sont autrefois transformées, mais ils n’ont jusqu’ici produit aucun exemple de pareille transformation opérée dans le passé, et il est permis de douter qu’ils puissent jamais en donner des preuves rétrospectives. C’est que les espèces n’ont été soumises jadis qu’à l’action des influences spontanées de la nature et des artifices de la zootechnie ; mais ce qui n’a pu être réalisé hier par les forces de ce genre pourrait fort bien l’être demain par celles dont le physiologiste dispose aujourd’hui. En agissant sur les œufs, comme l’indique M. Claude Bernard, c’est-à-dire sur les germes vivans, on a une prise plus efficace et plus profonde sur les desseins ultérieurs de la vie. L’embryon, cette ébauche indécise et délicate de l’être futur, ce microcosme où les sourdes énergies de la vitalité s’emparent lentement d’une pulpe molle et sensible aux plus petites perturbations, n’est pas contraint de se développer suivant une loi impérieuse ; M. Robin l’a prouvé[2]. Il y aurait donc lieu de déterminer sur l’embryon d’un animal des modifications compatibles avec la vie, de les maintenir sur l’animal une fois formé, de les répéter et de les multiplier graduellement sur les produits des générations suivantes de façon à les fixer définitivement par le moyen de l’hérédité. Quelques expériences faites dans ce sens, entre autres celles de MM. Dareste, Brown-Séquard, Trécul, sont du meilleur augure ; mais la question, on le conçoit, demande le concours laborieux de beaucoup de vies humaines. C’est ainsi que le savant pourra déranger le mécanisme des choses et intervertir le sens des transmutations naturelles. Il

  1. Rapport sur les progrès de la physiologie, p. 3 et 113.
  2. Voyez son remarquable ouvrage de l’Appropriation des parties organiques, 1866.