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l’avantage réel n’est pas toujours du. côté où l’on croit d’abord l’apercevoir, et que, même sous l’ancien régime, c’était un. calcul sage de tenir grand compte du mérite personnel.

L’ironie du sort, condamnait à l’obscurité celle des deux sœurs qui précisément semblait destinée par la nature à briller dans le monde. La marquise de La Cour avait le goût comme le talent de plaire ; dans cet art par excellence, la première de toutes les vocations, c’est la beauté. Les lettres de ses frères nous parlent de « sa jolie figure, » — et les frères en pareil sujet ne sont pas les plus suspects de flatterie ; — elle conserva longtemps dans l’oisiveté de la retraite l’éclat de ces inutiles attraits. Nous voyons en 1718 un de ses neveux déjà marié, le marquis d’Argenson, s’y montrer fort sensible, y faire même une trop libre allusion qu’elle s’était d’ailleurs attirée par une indiscrète curiosité. Bien que les lettres mêmes de la marquise, sauf quelques billets insignifians, aient disparu et que le principal personnage de la correspondance, soit muet pour nous, il n’est point téméraire de supposer que d’autres agrémens, d’un ordre plus élevé et d’un prix qui se fait estimer la plume à la main, accompagnaient et animaient chez elle les grâces de la figure ; une Caumartin ne pouvait être une personne ordinaire. L’esprit qu’elle inspirait à ses amis n’est-il pas un suffisant témoignage de celui qu’elle avait elle-même ? Cette correspondance, remplie de traits ingénieux et d’agréables récits, qui sont doublement un hommage à celle qu’ils veulent réjouir, ne nous prouve-t-elle pas le charme irrésistible et le durable ascendant de la marquise ? Caumartin de Boissy lui reprochait deux défauts, une écriture illisible et un style aigre-doux. « Vos beaux yeux, ma chère sœur, n’ont pas pitié des miens… Laissez-moi vous dire aussi que sur vos deux épaules vous portez une tête aimable, par l’esprit et par la figure, mais d’une humeur quelquefois un peu aigrelette. » À cette aigreur passagère, nuage léger, répandu par l’ennui sur un brillant naturel, s’alliait, sans une contradiction, trop forte, une vive dévotion. Le railleur Caumartin ne passait à la marquise aucune de ses vivacités, pas même son zèle tout nouveau de mère de l’église. « Je me recommande, lui écrivait-il, à vos saintes prières. Quand vous viendrez nous voir, de quel parti serez-vous sur la constitution ? N’allez pas déshonorer votre race par des sentimens indignes sur la grâce ; songez que nous avons toujours été pour saint Augustin, et ne vous jetez pas tout de go dans le pélagianisme., » Trop faible, remède contre le mal secret qui gâtait tous les bonheurs de cette existence monotone, la dévotion ne guérissait pas chez elle la nostalgie de Paris ; pour goûter le sommeil, la marquise en était réduite à prendre de l’opium. Était-ce aussi pour chasser l’ennui qu’elle faisait usage de tabac d’Espagne ? La belle Emilie prisait, si nous lisons bien ces