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là où il suffisait de se souvenir ? L’invariable pratique de certaines traditions une fois acceptées, la confiance dans l’infaillibilité de certaines recettes, ne garantissaient-elles pas de tout risque ? On s’abritait, pour justifier la monotonie du style, sous l’immuable autorité de la grammaire classique, et c’était au nom de l’idéalisme même qu’on se dispensait d’avoir des idées.

Les artistes groupés à Rome autour de Duban ou ceux qui de loin embrassaient son parti comprenaient, nous l’avons dit, tout autrement les choses. Ce qu’ils cherchaient à s’approprier par l’étude des grands monumens du passé, c’était bien moins des formules toutes faites que des explications et des principes ; ce qu’ils voulaient, aussi contrairement aux prétentions de la nouvelle école de peinture qu’à l’inerte despotisme exercé depuis la fin du dernier siècle par les apôtres d’une fausse érudition, c’était reconnaître scientifiquement les conditions de l’art, en observer les progrès, en consulter de près l’histoire, et s’autoriser de cette expérience même pour agir plus sûrement dans le sens de nos mœurs ou de nos besoins. Se tenant à l’égard de l’antique à égale distance de l’extrême indépendance et de la servilité, de l’irréligion et du fanatisme, ils étaient donc des néo-classiques bien plutôt que des révolutionnaires ou des novateurs radicaux : ce qui n’empêchait pas ceux qui s’intitulaient tout court les classiques de les désavouer hautement, à mesure que le cercle d’action s’agrandissait, et de leur infliger comme une flétrissure cette qualification de « romantiques » impliquant, suivant eux, toutes les erreurs, toutes les infirmités de l’esprit, sinon même toutes les perversités du cœur.

Maintenant que les assaillans comme les assiégés d’alors ont depuis longtemps cessé d’être aux prises, et que, dans le public, les accommodemens, l’indifférence peut-être, ont succédé aux passions ou aux entraînemens des premiers jours, on a peine à se figurer la violence avec laquelle la lutte se poursuivait il y a quarante ans. Tout moyen semblait bon pour déconsidérer ses adversaires, toute accusation permise, tout essai de répression légitime. Tandis que, dans une supplique écrite et publiée au commencement de 1830, des membres de l’Académie française et des peintres issus de l’école de David ne craignaient pas d’invoquer contre « les perturbateurs de la littérature et de l’art » le pouvoir du roi Charles X lui-même, qui d’ailleurs avait le bon esprit de se récuser, une pièce jouée au. second Théâtre-Français sous ce titre : Le classique et le romantique, établissait lestement la différence entre les deux partis en présence et réduisait la question à des termes bien simples : à en croire l’auteur de cette pièce, le classique c’était l’honnête homme, le romantique c’était le fripon. Sans se manifester avec le même éclat, sans intéresser d’aussi près le public, quelque chose d’analogue se