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histoires à un drame hégélien ; ils ont été, ils n’ont voulu être qu’historiens. Leur histoire n’en a pas moins un esprit, une pensée, un but. Ce but, c’est la défense de la révolution, c’est sa justification et peut-être même sa glorification. Ils l’aiment et la défendent jusque dans les momens les plus terribles et les plus extrêmes. Sévères pour les crimes et sans jamais offenser la pitié ni l’humanité, ils plaident la cause de la patrie, en quelques mains qu’elle soit remise ; condamnant le terrorisme des jacobins, ils ne désapprouvent pas leur dictature, et nous laissent cette impression, qu’après tout le plus important était de sauver la France. Ces vues hardies, présentées avec une habile modération et une vive lumière, eurent une prodigieuse influence. La France, qui aimait la révolution, fut heureuse d’apprendre qu’elle ne s’était pas trompée autant qu’elle l’avait cru, et elle se réjouit de pouvoir admirer quelque chose, même dans ce qu’elle détestait.

Ce qu’il peut y avoir d’exagéré dans la thèse de ces brillans écrivains s’explique d’ailleurs aisément par le temps où ils ont écrit. Il était alors convenu dans les conseils du gouvernement, dans les salons du parti dominant, que la révolution n’avait été qu’un grand crime et une grande folie. La France avait été ivre pendant vingt-cinq ans ; il fallait la remettre à la raison. Tel était le langage des royalistes, même modérés. Il nous est facile aujourd’hui d’être froid et impartial à l’égard de la révolution française ; mais, si nous nous reportons à ces jours de lutte, si nous avions encore en face de nous les folles passions des émigrés, leurs insultes perpétuelles à la France nouvelle, leur prétention de refaire à nouveau une France royale et aristocratique, où vingt-cinq ans de notre existence nationale eussent été supprimés de la mémoire des hommes, nous comprendrions mieux les vives passions de l’école opposée, passions auxquelles n’échappèrent pas toujours les deux historiens dans leur défense hardie et habile de la révolution. Cette défense peut se ramener aux deux points suivans : d’un côté, ce sont les résistances inopportunes et les provocations imprudentes du parti de la cour qui ont en partie causé les entraînemens et les excès révolutionnaires ; de l’autre, l’invasion de la France a rendu nécessaire la dictature qui l’a sauvée.

S’il est vrai que dans les fautes de la révolution il faut faire une large part à l’inexpérience politique des constituans et aux passions aveugles du parti révolutionnaire, il ne faut pas oublier non plus la part de responsabilité qui revient à la cour et à l’émigration dans les entraînemens déplorables qui ont suivi. Cette responsabilité remonte jusqu’avant la révolution, et par là même elle est d’autant plus grande, car, s’il est difficile, pour ne pas dire impossible, de