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avançons terribles et sévères ; déjà nous touchons les murs de la ville coupable, le bruit de nos pas vengeurs fait trembler ce vieux monde qui s’écroule. Le désordre est dans les rues, l’anarchie partout ; loin de songer au repentir, la ville impie s’enfonce dans sa démence et son orgueil, elle prétend résister à nos armes. La légèreté et l’infatuation de ce peuple sont sans remède ; que son sang retombe sur sa tête ! le châtiment sera terrible et mérité.

Nos généraux comptent entrer à Paris avant quinze jours. Nous savons par nos éclaireurs secrets que les travaux de défense sont loin d’être terminés, la plupart des forts même ne sont pas encore armés ; nous serons au cœur de la ville avant que ces insensés voient revenus de leur ivresse. Nous allons fouler en vainqueurs ces rues et ces places publiques où toutes les impuretés se sont donné joyeux rendez-vous ; nous allons porter le fer et le feu au sein de ces corruptions et mettre un terme à des scandales qui déshonorent l’Europe entière. Quelle mission, ma Dorothée, quelle gloire pour les nobles enfans de la Germanie !

Je sens mûrir en moi l’âme d’un Macchabée ; grands-prêtres à la fois et soldats, voilà ce que nous sommes. La victime est prête, et déjà nous aiguisons nos glaives… O ma bien-aimée, bientôt je te reviendrai, sacré deux fois par la gloire et la plus mâle vertu. Je porte fidèlement, suspendue à mon cou, la cornaline taillée en cœur qu’Abel Schiffer m’a remise de ta part avec un paquet de cigares. Remercie tante Emmeline de ses chaussettes et du cacherez en laine de Berlin ; combien je lui en sais gré pendant les longues heures de nuit passées en faction !

As-tu reçu des nouvelles de ta cousine Virginie Flock ? Je voudrais savoir ce qu’elle pense de tous ces événemens et si son enthousiasme pour la France n’a pas enfin baissé de ton.

Je baise tes lèvres pures.

Ton fiancé,

HERMANN SCHLICK.

Meudon, 18 septembre.

La voilà sous mes yeux, immense et splendide, étendue dans sa grâce imposante, avec ses coupoles dorées brillant au soleil, ses dômes, ses tours, ses flèches élancées se détachant sur l’azur du ciel. La voilà, c’est elle, la ville sans rivale, la reine des cités ! Je ne puis en détacher mes regards, et bien d’autres sont là, immobiles et muets comme moi, partagés entre la haine et une sorte de crainte superstitieuse. Cette ville est tout un monde ! son immensité fait peur. L’œil plonge dans cet amas de monumens et de palais, dans les détours infinis de ces rues qui se déroulent et se croisent ; on se demande avec une sorte d’anxiété ce qui peut se passer là-bas, ce que méditent ces deux millions d’êtres enfermés à