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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/828

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point déchausser le fils d’une esclave ; je ne veux que Iaropolk (le grand-prince). » Les Mongols, que l’on accuse d’avoir fait prédominer les préjugés asiatiques contre les femmes, ont sans doute exercé une influence assez funeste ; mais ils ne sont pas responsables de la triste condition du sexe féminin dans la Russie primitive. Un roman de la baronne de Düringsfeld, Niko Vèliki, prouve qu’il en est encore ainsi chez les Dalmates, et pourtant les Slaves du sud n’ont point subi le joug des kha- khans. Les coutumes de l’Asie qui choquaient le plus le bon sens étaient en vigueur parmi les Russes bien avant les conquêtes de Bâtou. L’apôtre des Allemands Winfrid (Boniface), qui au VIIIe siècle parle dans une de ses lettres des femmes slaves en termes bienveillans, ajoute que, ne voulant point survivre à leurs époux, elles se jettent dans le bûcher destiné à consumer le cadavre du défunt. Yakout, écrivain persan, en décrivant les funérailles d’un Russe de qualité, raconte comment deux personnes de sa maison, un garçon et une fille, se laissèrent brûler volontairement avec le cadavre ; l’auteur musulman a soin de faire remarquer que les Russes étaient chrétiens. Les Mongols fortifiaient par leurs tristes exemples le mépris pour la vie et la dignité de la femme. Nestor raconte que les Avars attelaient à leurs voitures les femmes des Slaves et qu’ils leur faisaient subir les plus sanglans outrages. Sans les traiter en bêtes de somme, les Russes les regardaient comme des esclaves qu’on pouvait maltraiter, vendre et tuer au besoin. Le servage n’existait pas sous les Rurikovitchs, leur condition était donc complètement exceptionnelle. On ne voit point qu’on ait jamais puni un mari assassin de sa femme ; en revanche, celle qui se vengeait d’un époux cruel subissait les plus atroces supplices : on l’enterrait vive jusqu’au cou, et elle attendait ainsi une mort trop lente à venir. Si quelques Occidentales regrettent « l’âge de la femme, » le moyen âge n’inspirera certainement pas de pareils sentimens à aucune femme russe.

L’invasion mongole donna peut-être aux Russes l’idée d’astreindre leurs femmes à une réclusion sévère. L’expérience prouva de même aux chrétiens de la Péninsule orientale que les passions des Turcs rendaient cette précaution nécessaire. En Russie, il est difficile d’y voir la pensée d’imiter les usages des vainqueurs, car Jean du Plan de Carpin, qui fait ressortir le rôle considérable joué par Tourâkinah, ne peint nullement les Mongoles comme des recluses. Sous les dynasties allemandes, la réaction contre les traditions slaves s’est faite avec tant de force que, ainsi que le dit un écrivain français, « la femme mariée jouit en Russie de quelques avantages, sous le rapport des intérêts, qui ne lui sont pas toujours assurés chez nous. » Il aurait pu ajouter que dans l’ordre politique on ne lui conteste ni le droit de régner, ni le droit de voter. Il est vrai