Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 97.djvu/914

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins ici une réserve en faveur d’Isée. Sans doute la situation et le caractère des deux personnages sont très différens. Formé à l’école d’Aristote, armé des mêmes instrumens scientifiques et doué, sinon d’un génie aussi créateur, tout au moins d’une aussi vaste, d’une aussi prodigieuse instruction, Théophraste avait tenté une entreprise dont l’idée même n’aurait pu venir à personne un demi-siècle plus tôt : son livre, comme on l’a très bien dit, « n’était pas un simple commentaire, c’était un ouvrage philosophique consacré à l’étude et à la comparaison de toutes les législations connues, en un mot un véritable Esprit des lois. » Quant à Isée, ce ne fut, il est vrai, qu’un avocat. C’est seulement à l’occasion d’espèces particulières, des procès qu’il avait l’occasion de plaider, qu’Isée aborde les questions de droit privé et cherche à remonter aux principes. Il n’en est pas moins incontestable que, par cette tendance de son esprit, il mérite d’être présenté comme un précurseur de Théophraste, comme le premier des légistes d’Athènes. Sur la liste en tête de laquelle il figurerait, viendrait ensuite Démosthène, dont le clair et ferme esprit a jeté de vives lumières sur plusieurs points obscurs du droit attique.

Après cet orateur, qui représente au barreau la tradition d’Isée, nous n’aurions plus guère à citer que quelques-uns de ces érudits qui ont dressé l’inventaire de l’antique civilisation grecque avant qu’elle ne disparût, altérée d’abord par la conquête macédonienne, puis absorbée dans l’unité romaine. Démétrius de Phalère, autre disciple d’Aristote, avait écrit un traité sur la législation athénienne ; Philochoros s’était occupé des Graphai ou accusations criminelles, Séleucos avait donné un commentaire des lois de Solon. Le recueil de décrets composé par Cratère, s’il nous était parvenu, contiendrait aussi plus d’un document important pour la connaissance du droit privé. Malgré tant de pertes, en dépit des obscurités et des lacunes qui en sont la fatale conséquence, l’étude du droit grec, si longtemps négligée en France, commence à reprendre faveur : c’est ce dont témoignent les travaux de plusieurs professeurs de nos facultés ou de membres de notre barreau : MM. G. Boissonade, Paul Gide, Albert Desjardins, Caillemer, Dareste et d’autres. Grâce à la sûreté de ses méthodes et à la pénétration de sa critique, l’esprit moderne arrive, malgré la déplorable insuffisance des monumens, à deviner le sens et à établir les rapports de bien des faits isolés et jusqu’ici inexpliqués, à en marquer la place dans l’ensemble et à reconstituer des théories juridiques auxquelles les Grecs eux-mêmes n’étaient jamais parvenus à donner une forme arrêtée et savante. On est conduit ainsi à apprécier les mérites et l’originalité du droit grec, dont le droit attique n’est que la branche la