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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/117

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leur bonté, comme leur cruauté, est toute d’accès et de soudain mouvement. Ils sont cruels avec frénésie, ils sont bons avec effusion ; leur colère, aveugle comme une terreur panique, fait couler des torrens de sang, puis leur cœur s’attendrit, et ils laissent échapper des paroles d’or qui, encore aujourd’hui, à la distance où nous sommes d’eux, vont droit à nos entrailles et les remuent des meilleures émotions, tant elles sont sorties des sources mêmes de la nature. Par-dessus tout, ils furent romanesques dans la plus stricte acception de ce mot, et romanesques au-delà de toute mesure. Les plans de leur ambition, quand ils ne sont pas chimériques à force d’être gigantesques, le sont à force d’être désordonnés : nulle proportion entre les ressources dont ils disposent et les rêves, dont ils se bercent ; ruinés, ils ne méditent que fêtes et splendeurs ; battus, ils ne méditent que conquêtes. Au sein des plus affreux désastres, leur heureuse imagination ne leur montre que victoires ; c’est l’histoire du roi Jean, qui, vaincu, ruiné, maître précaire d’un royaume mutilé à toutes ses extrémités, blessé au tronc, réduit d’une moitié de ses habitans par la famine, la peste et la guerre, rêve, encore de s’unir au roi de Chypre pour aller conquérir des palmes en terre-sainte. Les aventures de Charles le Téméraire et la brillante équipée de la guerre d’Italie de Charles VIII sont les exemples les plus connus et les plus caractéristiques de cette tournure d’esprit romanesque. Aussi comme ils aimaient la magnificence, la prodigalité, les beaux spectacles, les fêtes coûteuses ! Ces modes et ces somptuosités chevaleresques qui distinguent le XIVe et le XVe siècle, ils en furent presque les inventeurs. Ces représentations des mystères et des basochiens qui commencent alors le théâtre moderne les trouvèrent pour protecteurs, et se propagèrent rapidement sous leur influence. Toujours pauvres pour les besoins de l’état et obligés d’avoir recours à des moyens extraordinaires, ils sont toujours riches quand il s’agit d’acquérir à grands frais un beau travail d’enluminure et d’imagerie. Ceux qui ne furent point des héros d’aventures furent amateurs passionnés des choses de l’intelligence ; les plus prudens et les plus sages ne font point exception à cet égard. Le goût très vif de Louis XI pour les gens d’esprit est bien connu, et on sait que l’origine de notre Bibliothèque nationale est la collection de manuscrits rassemblés par le roi Charles V ; mais la plupart du temps les Valois furent tout à la fois héros d’aventures et dilettantes passionnés, et parmi eux, nuls n’eurent jamais plus de magnificence et de sentiment vrai des arts que les quatre ducs de la maison de Bourgogne.

De ces princes, un seul doit nous occuper, c’est le premier, Philippe le Hardi, quatrième fils du roi Jean. Rarement il exista prince plus aimable. Il fut le plus parfait résumé de ce que sa race eut de