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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/128

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modèle ; c’est au moins ce qu’on peut induire des figurines de moines encapuchonnés, populairement nommées les pleureuses, qui ont échappé à la destruction, et dont une partie se trouve au musée de Bourges, et l’autre, me dit-on, chez le marquis de Vogué. Le tombeau de Jean sans Peur est placé dans la même salle du musée de Dijon que celui de son père : nous n’avons que peu de choses à en dire après la description que nous venons de faire du premier. C’est Philippe le Bon, le troisième duc, qui fit exécuter ce mausolée, et il se ressent de la magnificence de ce prince, car il est encore plus imposant d’aspect et plus richement orné que celui de Philippe le Hardi ; mais il y manque le mérite de l’originalité, puisqu’il n’est qu’une répétition du précédent. Jean est étendu sur son tombeau dans la même attitude que son père, dont il n’a pas l’expression de bonté ; le visage d’une énergie tant soit peu brutale, qui rappelle l’air d’un dogue hargneux, ne surprend pas trop cependant quand on songe qu’il est celui du meurtrier de Louis d’Orléans, et qu’on se rappelle la terrible entrée dans Paris : à ses côtés est étendue sa femme, Marguerite de Bavière, car Philippe le Bon, en fils pieux, a voulu réunir ses deux parens. L’artiste qui exécuta ce monument fut un Aragonais nommé Juan de la Verta, et, quoiqu’il se soit borné à reproduire les principales dispositions de l’œuvre de Claux Slutter, il a trouvé moyen cependant de signer sa nationalité par cette exubérance d’ornemens pour laquelle l’Espagne va devenir tout à l’heure célèbre, et surtout par quelques-uns de ses types de moines, fort différens de ceux de Claux Slutter. Au lieu de ces bonnes figures de moines flamands ou français du tombeau de Philippe le Hardi, nous rencontrons ici, non sans surprise, de véritables types africains qui sentent leur Andalousie ou même leur Sahara. Un surtout, dont le capuchon enveloppe la tête nerveuse comme le burnous arabe, semble le portrait d’un cavalier berbère ou même d’un soldat du Soudan ; c’est un vrai marane en chair et en os, pour employer le mot par lequel les Italiens du XVIe siècle désignaient les Espagnols, et que Luther aimait à répéter comme une injure dans ses invectives fréquentes contre ce peuple. N’est-il pas étrange que les tombeaux des deux premiers ducs aient été élevés par deux artistes appartenant aux deux nations les plus originales et les plus fortement caractérisées des futurs états de cette maison d’Autriche qui va tout à l’heure hériter de la fortune si rapide de la maison de Bourgogne ? Et n’y a-t-il pas là comme un présage de cette grandeur prochaine qui va si souvent présenter, non plus seulement parmi ses artistes, mais parmi ses soldats, ses conseillers et ses diplomates, des associations de nationalités et de noms aussi excentriques que celle du Hollandais Slutter et de l’Aragonais Juan de la Verta ?