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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/141

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timent pousse à l’action virile ; rien n’est plus dangereux quand il se transforme en une dévotion maladive. Les réactions politiques et religieuses mesurent alors leur audace à la grandeur des calamités ; tout devient possible en fait de prétention et de revendication au lendemain des catastrophes. On sait ce qu’ont osé les partis rétrogrades en 1815 et en 1849. Les mêmes tendances reparaissent, et si elles triomphaient, ce serait la fin de notre pays dans l’histoire des peuples libres. La réaction ultramontaine emprunte d’ailleurs une gravité particulière à la révolution religieuse qui s’est opérée au sein du catholicisme le 18 juillet 1870. Avant la proclamation de l’infaillibilité du saint-père, il existait en France un catholicisme libéral ; il acceptait la société moderne et la séparation des pouvoirs qui en est la condition essentielle. Ce catholicisme-là subsiste sans doute encore dans les cœurs et les esprits, mais ses partisans ne peuvent plus parler comme autrefois, ils se sont condamnés au silence ou aux ambiguïtés ; l’encyclique du pape infaillible ne souffre plus de commentaires atténuans[1]. Or il est certain que la doctrine des dernières encycliques tend à détruire complètement la distinction entre la société civile et la société religieuse. La réaction ultramontaine qui a commencé sous nos yeux est la mise en œuvre de ce qui a été décidé au concile du Vatican ; c’est la vraie campagne de Rome à l’intérieur qui a été inaugurée.

D’autre part, la Prusse victorieuse se montre encore plus disposée à profiter de nos défaillances que de notre affaiblissement matériel. Si nous n’y prenons garde, ce sera elle qui relèvera ce grand drapeau de la société moderne qui depuis 1789 avait brillé partout avec nos trois couleurs. C’est là le sens profond de cette loi sur l’inspection des écoles que M. de Bismarck vient de faire passer avec tant de peine dans les deux chambres prussiennes. Sans doute elle réduit de bien peu l’influence du clergé, mais elle atteste le caractère laïque de l’état, surtout par les commentaires que le prince-chancelier lui a donnés dans les débats législatifs. Il s’est posé nettement comme le champion de la société civile en face de l’ultramontanisme. S’il nous dérobait, même en l’altérant, là grande idée de la sécularisation de l’état, il nous prendrait notre meilleure gloire et notre plus sûr moyen d’influence en Europe.

  1. On peut s’en convaincre par la soumission absolue que l’ordre de l’Oratoire, auquel appartenait le père Gratry, vient de faire solennellement par l’organe de son directeur. Le père Petetot déclare dans une lettre récente que désormais tout oratorien est tenu d’accepter le Syllabus dans le sens du saint-père et de repousser non-seulement ce qu’il condamne, mais encore ce qu’il désapprouve