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qualité, pillèrent ses bagages, — paniers de vin, coffres et papiers, — en criant : « Voilà des affaires étrangères ! c’est un homme gagné par les ennemis ! » A Calais, les vents contraires lui fermèrent la route pendant plusieurs jours, et ce retard mit à une rude épreuve son humeur impatiente. « On m’avait fait espérer, écrit-il à Nancré, de pouvoir partir cette nuit à une heure après minuit, et j’ai fait toute la nuit la veille des armes pour saisir le premier moment où le bâtiment pourrait sortir du port ; mais il s’est élevé un vent du nord qui a empêché entièrement la sortie. Je suis donc à la merci des vents et, si plusieurs avis qui m’ont été donnés sont véritables, à la merci de la Providence, car on m’a averti que les jacobites avaient conjuré ma perte. Il en arrivera ce qu’il plaira à Dieu, je suis dévoué à tout sans réserve pour le service de mon maître, qui est celui de l’état. » Le 28 enfin il débarquait en Angleterre, « après avoir essuyé en passant les incommodités ordinaires à ceux qui ont l’estomac délicat. » Arrivé à Londres, il s’empressait de donner au maréchal d’Huxelles son adresse officielle, « rue des ducs, à Westminster, ducks street in Westminster, » et une seconde adresse très différente à son correspondant de La Haye, M. Basnage : « Vous m’enverrez vos lettres sous une enveloppe au nom de M. Dubuisson, maître à danser, chez M. Hamton, maître charpentier à Saint-Martin Scort, derrière l’église, proche Cherincroff, à Londres. »

Ce n’était pas la première fois que Dubois visitait l’Angleterre. En 1698, il y avait accompagné, dans un dessein qu’on nous dispensera de rechercher ici, l’ambassadeur de France, duc de Tallard : recommandé à Saint-Évremond par Ninon de Lenclos, qui aimait l’esprit « de ce petit homme délié, » présenté par l’ami de la duchesse de Mazarin à la meilleure société de Londres, il y avait reçu, pendant un séjour de six mois, l’accueil le plus flatteur. Les souvenirs de 1698, un peu affaiblis sans doute, vivaient encore en 1717, quand l’abbé reparut à Londres, transformé en personnage. Son premier soin fut de les ranimer, et dès le 9 octobre il écrivait à la comtesse de Sandwich, avec qui, selon Saint-Simon, il avait été du dernier bien : « Quelque objet, madame, que je puisse avoir dans mon voyage, rien ne m’y peut tant toucher que d’être encore une fois à vos pieds avant de mourir ; mais il ne faut pas qu’il vous en coûte la peine de venir à Londres, et je m’empresserai d’aller vous chercher, dès que les affaires dont je suis chargé me le permettront. » Partisan des Anglais et de leur solide esprit, nous l’avons vu, Dubois appréciait aussi la supériorité de l’Angleterre par un côté moins politique : « il n’y a aucun pays dans le monde, disait-il un jour à Noce, où il se voie autant de jolies femmes que dans celui-là. »