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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/250

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devant les Huns, implorèrent un refuge dans l’empire ; pour l’obtenir, ils s’engagèrent à obéir aux lois et aux ordres de l’empereur, et ils consentirent même à abandonner leur culte national pour adopter celui de l’empire. Qu’ils se soient ensuite révoltés contre Valens, qu’ils l’aient vaincu et tué, cela ne changea rien à leur situation ; ils n’en restèrent pas moins serviteurs de l’empire, in servitio imperatoris, c’est un historien de leur nation qui nous l’affirme. Les Francs aussi, comme les Burgondes et les Alains, étaient sujets des empereurs, romano serviebant imperio[1].

L’entrée de nombreux Germains dans l’empire se présente à notre esprit sous l’aspect d’une invasion et d’une conquête ; mais les hommes de ce temps-là s’en faisaient une autre idée. Ils virent, durant deux siècles, ces Germains se glisser dans leur pays pacifiquement et humblement, les uns à titre de laboureurs, les autres à titre de soldats de l’empire.

Il se fit en effet, pendant une série de générations, une immigration incessante de laboureurs germains. Ils ne venaient pas toujours de bon gré ; ils étaient souvent amenés de force, et leur arrivée coïncidait presque toujours avec une victoire des armées impériales. C’est après les succès de l’empereur Claude le Gothique en 270 que l’on vit affluer sur les terres en friche une foule de Germains vaincus. C’est après une victoire de l’empereur Probus en 277 qu’on vit les champs de la Gaule labourés par les prisonniers germains. En 291, les Francs, « admis sous les lois de l’empire, » cultivèrent les champs des Nerviens et des Trévires. Un peu plus tard, en 296, les victoires de Constance Chlore forcèrent les Chamaves et les Frisons à labourer pour les Romains. Au siècle suivant, les Francs-Saliens furent cantonnés dans l’empire par la volonté du césar Julien, leur vainqueur. Théodose remporta une grande victoire sur les Alamans ; l’Italie vit alors arriver une foule de captifs de cette nation, qui, par ordre de l’empereur, furent établis comme colons sur les rives du Pô[2]. Plus tard, le poète Claudien chanta les grands succès de Stilicon, qui obligeait les Sicambres à changer leurs épées en socs de charrue. Assurément ces faits n’apparaissaient pas aux yeux des contemporains comme une conquête du pays par une population étrangère ; ils y voyaient plutôt l’empire conquérant des sujets étrangers.

Que l’empire eût besoin de chercher des bras au dehors pour cultiver son sol, c’est ce qui étonne au premier aspect. Il est avéré que la classe agricole était devenue insuffisante. Cette insuffisance

  1. Jornandès, de Reb. gothicis, 7, 8, 9,11.
  2. Ammien Marcellin, XXVIII, 15 ; Vopiscus ; Eumène, Panég.