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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/259

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autres par leur haine pour l’empire ; mais les faits ne montrent pas que cette population fût lâche. Il est vrai qu’elle n’avait pas l’usage des armes ; nous voyons pourtant que quelques villes résistèrent avec un grand courage aux exigences de certains chefs barbares, et à la génération suivante nous voyons les Gaulois former de grandes armées sous la conduite des rois francs. Dire qu’ils détestaient l’empire romain et qu’ils le virent tomber avec une secrète joie est une hypothèse que rien ne justifie. Cette prétendue haine de la Gaule pour la domination impériale n’a pas d’autre preuve que les déclamations violentes et démagogiques de Salvien, et elle est démentie par ce fait incontestable, que la Gaule resta romaine de langue, de mœurs, de lois, d’affection pendant plusieurs siècles. Quelques révoltes de bagaudes ne prouvent rien pour les classes supérieures et moyennes de la société. La répugnance des curiales, c’est-à-dire des contribuables, à payer les impôts n’indique nullement qu’ils préférassent la domination des Germains à celle de l’empire. Si la Gaule n’opposa que peu de résistance aux barbares, on peut en donner une explication beaucoup plus simple. En premier lieu, la population ne résista pas parce que le gouvernement impérial ne lui en donna pas l’ordre et même le lui défendit, car on vit plusieurs villes qui avaient imaginé de fermer leurs portes aux nouveau-venus être attaquées conjointement par les fédérés barbares et par les fonctionnaires impériaux, être enfin punies de leur mauvais vouloir par l’empereur lui-même. En second lieu, elle songeait rarement à résister, parce que ces barbares étaient à ses yeux des soldats de l’empire, soldats brutaux et cupides sans doute, mais qui ne l’étaient pas beaucoup plus que les lètes du siècle précédent ou les légions des temps antérieurs. Là où nous voyons des envahisseurs, les contemporains voyaient des armées impériales.

Il est vrai qu’il fallait obéir aux chefs de ces armées ; mais d’abord la population civile conservait son administration municipale, même dans ses villages, et par là elle n’avait presque aucun contact avec les chefs militaires. Ensuite ces chefs germains n’étaient rois que vis-à-vis de leurs sujets barbares ; à l’égard de la population gallo-romaine, ils étaient patrices, maîtres de la milice, proconsuls, c’est-à-dire fonctionnaires. Ils apparaissaient donc comme des délégués de l’empire, et c’est à ce titre qu’ils obtenaient l’obéissance. L’autorité impériale planait toujours au-dessus d’eux.

Dans les dernières années du Ve siècle, quatre armées vivaient sur le sol de la Gaule : celle des Wisigoths, celle des Burgondes, celle des Francs, et une quatrième composée de Bretons et de Romains, sous les ordres d’un chef gaulois, Syagrius, qui paraît avoir pris le titre de roi. Ces quatre armées, qui n’avaient aucun lien entre elles, que ni l’autorité impériale ni la population gauloise