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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/266

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après ces événemens, explique la nature de ce partage ; le législateur rappelle « qu’autrefois des propriétaires ont invité des hommes de naissance barbare (c’est-à-dire des Burgondes) à s’établir à demeure sur leur propriété, et qu’ils ont spontanément, volontairement, détaché de leurs domaines des lots de terre pour les donner à habiter à ces barbares. » Il s’agit donc d’une sorte de partage qui a été voulu par la population indigène elle-même. Quelles en furent les conditions, nul ne nous l’apprend ; mais la suite des événemens montre bien qu’elles furent onéreuses pour le Burgonde. Il était sur ce lot de terre un cultivateur, un travailleur, une sorte de métayer. Il « partageait » le lot avec son propriétaire en ce sens qu’après l’avoir cultivé il en partageait les fruits. Il n’était pas appelé colon, parce que ce mot désignait alors une sorte de servitude ; mais il était appelé hôte, et ce terme prit alors un sens qu’il conserva ensuite pendant tout le moyen âge, celui d’homme domicilié, de cultivateur, de fermier assujetti à redevance.

À regarder de près le code des Burgondes, on y peut voir ce que devint la condition de ces hôtes dans les soixante années qui suivirent l’établissement. Le Burgonde, qui était laborieux et qui aimait la terre, cultiva son lot ou le fit cultiver par des serfs, jouit des fruits, mais ne remplit pas toujours les conditions qui lui avaient été imposées. La société était pleine de désordres, l’autorité ne tarda pas à passer aux mains des chefs burgondes ; il n’était facile au propriétaire gaulois ni de se faire payer du Germain ni de se débarrasser de lui. Il y eut alors une série de conflits annuellement renouvelés entre ces propriétaires, qui s’efforçaient d’éloigner ces hôtes, et ceux-ci, qui s’obstinaient à rester. Les rois finirent par décider que le Burgonde conserverait la possession de son lot à titre d’hôte, et qu’il aurait pour sa part le tiers des serfs qui cultivaient ce lot et les deux tiers des fruits. Ils fixaient ainsi à un tiers du produit brut le prix de fermage qui devait continuer à être payé à l’ancien propriétaire. C’est à partir de ce temps que le mot tiers ou tierce fut fréquemment employé pour désigner le prix du fermage ou la redevance annuelle. Une autre loi du roi Gondebaud décida que, si cette redevance du tiers restait impayée pendant quinze ans, le lot du Burgonde, en vertu du principe de prescription, en serait à tout jamais dégrevé. Dans l’un et l’autre cas, le Burgonde acquérait une garantie de jouissance sur son lot ; sans en être propriétaire, il en était hôte héréditairement[1]. Il avait droit de vendre

  1. Il en était si peu propriétaire que la loi lui interdisait d’intervenir en justice dans les procès dont ces terres pouvaient être l’objet (Lex Burgund., tit. 55) ; les débats relatifs au droit de propriété sur les terres quæ hospitalitatis jure a barbaris possidentur ne regardaient que les Romains et passaient par-dessus la tête des hôtes burgondes. — On allègue le titre 51 du même code pour soutenir que les conquérans s’étaient emparés des terres ; on n’a pas observé que l’acte auquel ce titre fait allusion a été décrété par Gondebaud et est par conséquent postérieur d’au moins quarante années à l’établissement des Burgondes dans le pays. C’est assez dire qu’il n’a pas le sens qu’on lui prête ordinairement.