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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/408

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présentement il n’existe plus, parmi les nations, aucun abri contre les violences des forts au profit de celles qui sont faibles. L’épouvante est partout, même dans le cœur des plus grands souverains, de ceux qui jusque-là envisageaient avec le plus de confiance leur puissance et leur dynastie comme fondées sur le roc.

Le système de l’arbitrage, qui précéderait toujours et nécessairement les hostilités, qui offrirait des garanties contre l’abus de la force, semblait avoir réuni d’illustres et d’augustes suffrages ; mais il a eu beau être conforme à la sagesse la plus élevée et aux sentimens les plus généreux, aux droits de l’humanité et à l’intérêt général, il a eu beau obtenir qu’on l’inscrivît dans un acte solennel, le traité de Paris du 30 mars 1856 : ce succès n’a été que dérisoire. A peine proclamée, la règle a été violée. Elle a été foulée aux pieds par ceux-là mêmes qui semblaient avoir voulu attacher leur gloire à la faire reconnaître, et il n’en reste plus qu’un regret amer pour les âmes d’élite. Que n’a-t-elle eu un meilleur sort ! Et comment ce traité lui-même, qui pouvait ouvrir à l’Europe une ère de paix et de prospérité, en y introduisant quelques modifications propres à sauver la dignité de la Russie, n’a-t-il été qu’un chiffon de papier ?

Il faut bien nommer ici une autre combinaison tutélaire qui a été recommandée par quelques esprits philosophiques, et qui a certes un côté séduisant. Elle consisterait à donner à l’Europe prise en corps une constitution nouvelle qu’on a définie par ces mots a les États-Unis européens. » Il y aurait dans quelque cité européenne ce qui existe à Washington, un congrès permanent chargé de veiller aux intérêts généraux des diverses nations de cette partie du monde, celles-ci conservant, à côté de la souveraineté collective de la confédération, leur souveraineté propre, ainsi qu’on le voit chez les états de l’Union américaine ; mais l’idée est si éloignée de toute pratique possible, qu’il’ faut se résigner à n’y voir qu’un rêve. L’Europe semble bien plus près d’être agglomérée et courbée sous un sceptre unique que de se reconstituer par le moyen de cet arrangement fédéra, qui cependant offrirait bien plus de garanties aux droits et aux libertés de chacun et de tous.

La formule d’après laquelle « la force prime le droit » est incompatible avec l’équité, avec la dignité et la sécurité des nations ; c’est l’anéantissement même du droit international. Il n’en est pas moins vrai qu’elle dépeint l’état actuel des choses, en ce qui touche les rapports de nation à nation. Pour un siècle où la liberté est nominalement en si grand honneur, où l’on se complaît à parler du progrès, c’est, on doit l’avouer, une situation humiliante.

Pour être juste, il faut reconnaître que, si en ce qui concerne