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organisé militairement, de sorte que, même vivant au dehors, chacun d’eux restât astreint à servir dans sa patrie et eût sa place individuellement marquée dans l’armée, son grade et son numéro dans un régiment qu’il était toujours tenu de rejoindre au premier appel. Que la guerre éclate entre la contrée qui leur a donné l’hospitalité et celle qui est demeurée leur pays, ils partent, sur le signal donné par leur souverain, pour revenir en ennemis là où ils avaient été traités en frères. Ils sont alors d’autant plus formidables qu’ils avaient obtenu un plus libre accès dans l’intimité de leurs confians voisins. Ils connaissent les rues des villes et les sentiers des campagnes ; ils servent de guides et de truchemens à l’armée d’invasion. Avec de telles éventualités, l’usage qui était si largement favorable aux étrangers peut-il se maintenir tel quel ? La pratique du droit international peut-elle demeurer aussi libérale ? Ce que tous les esprits éclairés considéraient, en 1870 encore, comme du progrès ne devient-il pas une duperie ou un piège ? La question tout au moins mérite qu’on l’examine.

Il y a lieu de distinguer, parmi les règles du droit international, celles qui concernent les hommes dans leur capacité individuelle et celles qui se rapportent à leurs immunités collectives. Les droits individuels sont de nos jours beaucoup plus que les autres l’objet de ménagemens de la part des belligérans et des vainqueurs. A défaut d’autre sanction, une vive réprobation s’attacherait à celui qui ferait massacrer des populations conquises ou prises d’assaut, comme Tilly à Magdebourg en 1631 pendant la guerre de trente ans, ou qui incendierait les villes et dévasterait les campagnes, ainsi que Louis XIV, aveuglément docile aux conseils de Louvois, l’ordonna dans le Palatinat[1], ou qui encore envelopperait tous leurs biens dans une confiscation systématique ; mais sous Louis XIV on accordait aux provinces ou aux villes qu’on s’annexait des capitulations, des sortes de chartes auxquelles on se conformait. Strasbourg eut ainsi ses droits réservés. Sous Louis XIV, quand les Anglais eurent conquis le Canada, ils lui laissèrent ses lois et ses coutumes. Dans ce dernier tiers du XIXe siècle, tel conquérant qui annexe une province à ses états est moins ménager des droits généraux de ses habitans. Il prétend les soumettre aux lois de ses autres états et même leur imposer sa langue, ce qui est une des plus grandes tyrannies qu’on puisse exercer envers un peuple.

Il a été recommandé par des auteurs modernes, dans d’importans ouvrages sur le droit international, qu’aucune annexion n’eût

  1. Il fut frappé une médaille en l’honneur de l’incendie de Heidelberg. Elle a pour exergue Heidelberga destructa. On la remarquait dans la collection du sénat, au Luxembourg. La scène qu’elle présente est celle d’une ville en flammes.