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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/45

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entendre. Le roi de Prusse était scrupuleux ; il aurait désiré obtenir le Hanovre sans laisser de tache à sa mémoire, « sans manquer aux règles de la morale, sans perdre en Europe l’estime des gens de bien. » Laforest, l’envoyé impérial, s’efforçait d’endormir sa conscience ; il lui présentait des argumens spécieux : « unies ensemble, la France et la Prusse deviendraient les arbitres de l’Europe[1]… » Le roi n’écoutait qu’à demi, Napoléon fit une démarche décisive ; il envoya Duroc à Berlin pour offrir positivement le Hanovre et demander en retour une démonstration comminatoire contre l’Autriche.

La tentation était forte. Il s’agissait de rendre l’acceptation honorable. Les diplomates de Berlin ont toujours été gens de bon conseil. Ils engagèrent le roi, « inébranlable dans son indécision, » à prendre un biais et à tourner politiquement les choses : il ferait une déclaration en règle ; il y dirait à quelles conditions l’équilibre de l’Europe semblerait garanti, ces conditions seraient précisément celles que posait Napoléon, puis il réclamerait pour lui-même une juste compensation des remaniemens territoriaux opérés par l’empereur[2]. Malheureusement il y avait un point noir : un mot sur lequel on ne s’entendait pas. Napoléon ne voulait garantir, pour le moment, que l’intégrité de la Hollande. Au lieu d’intégrité, la Prusse désirait que l’on écrivît indépendance. C’était un admirable prétexte de tergiversation ; le roi s’y accrocha. Le ministre des affaires étrangères, Hardenberg, se désolait de ces malencontreux scrupules : Frédéric n’eût certes pas manqué une si bonne occasion de s’arrondir ; mais tel était le roi « que les plus grands avantages ne sauraient le déterminer à se rendre agresseur[3]. »

  1. Les argumens ne furent pas perdus ; la chancellerie prussienne les nota sans doute, et les retrouva plus tard quand elle en eut besoin. M. Benedetti écrivait en juillet 1866 : « M. de Bismarck me répondit que la France et la Prusse unies, et résolues à redresser leurs frontières respectives en se liant par des engagemens solennels, étaient désormais en situation de régler ensemble ces questions. » (les difficultés en Europe)… Quant à la combinaison, « nous devrions la chercher en Belgique, et il m’a offert de s’en entendre avec nous. » — Dépêches du 15 et du 20 juillet 1866. — M. de Bismarck disait à Berlin au prince Napoléon : « Vous cherchez une chose impossible. Vous voulez prendre les provinces du Rhin, qui sont allemandes. Pourquoi ne pas vous adjoindre la Belgique ? J’ai déjà fait dire cela à l’empereur. » Gramont, dépêche du 3 août 1870.
  2. « Nous ne pourrions songer à l’extension de nos frontières que si la carte de l’Europe venait à être modifiée au profit exclusif d’une grande puissance. » Suivaient les desiderata de l’Europe : la Prusse à arrondir, l’Allemagne à constituer, l’Italie à terminer. — Lettre de l’empereur Napoléon III à M. Dronynr de Lhuys, 11 Juin 1866.
  3. Le fils, bien qu’autrement décidé de caractère et convaincu de sa mission, montrait en 1866 les mêmes scrupules que le père en 1805. « Le roi est essentiellement rebelle aux procédés que lui conseille son ministre. » — Benedetti, 14 janvier 1866. — « Le roi n’a pas cessé de redouter la guerre pour l’histoire de son règne et pour le bien de son peuple, sans pouvoir se résoudre à résister aux entraînemens d’une politique qui séduit l’ambition traditionnelle de sa race. » — Id., 29 mai 1866. — « La part du roi et celle du prince royal ne sont pas à confondre avec celle de leur ministre. » — Gramont, p. 203.