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leur place, sous leur vrai jour, les événemens et les personnes, n’attribuer à chacun que sa part d’influence, démêler l’enchaînement des causes, dégager les vraies lois de l’histoire en tenant compte de la liberté humaine, du choc des volontés et de l’imprévu qu’il engendre, tel est l’honneur et le devoir du véritable historien. Ces prétendues combinaisons préalables et nécessaires de toutes choses ici-bas, prophéties faites après coup, fatalisme doctoral qu’on nous enseigne avec tant d’apparat, et qui, de temps en temps, ne laisse pas de faire des dupes, bien que le néant en soit constamment démontré, ai-je besoin de dire que vous n’en trouvez trace dans ces récits de M. Guizot ? En revanche, vous y rencontrez comme un fil conducteur qui jamais ne vous abandonne, et qui vous fait saisir dans le dédale des faits la constante unité de notre vie française.

Le principal attrait de cette histoire, c’est qu’elle porte de préférence la lumière sur les points particulièrement obscurs. L’auteur excelle et se complaît à rendre clair ce qui, dans nos annales, passe à bon droit pour ténébreux. Ainsi la conquête des Gaules, cette grande invasion, cette stratégie savante, racontée par le conquérant lui-même dans d’admirables commentaires, et néanmoins demeurée presque obscure pour le commun des lecteurs, grâce à la concision, aux ellipses, parfois aux réticences de l’écrivain, il faut voir comme elle se déroule et s’explique, comme elle se classe et s’éclaircit dans le chapitre qui lui est ici spécialement consacré. Ce que nous disons de la conquête des Gaules, nous devons le. dire aussi de la Gaule conquise, du régime gallo-romain, et de bien d’autres séries de faits peut-être encore plus obscurs, comme les deux périodes mérovingienne et carlovingienne, ces monotones barbaries à peine interrompues par la lumineuse figure, par la puissante action de Charlemagne ; mais c’est surtout l’époque féodale, cet éternel écueil de nos historiens, ce désespoir de leurs lecteurs, qui prend ici des clartés vraiment inattendues. La clé vous en est donnée, vous en pénétrez les mystères, les étranges complications ; l’auteur vous y met à l’aise et vous en fait les honneurs comme d’un terrain qu’il possède et dont il connaît les secrets.

N’oublions pas enfin un autre caractère qui distingue cette histoire entre toutes, l’abondance des idées générales sortant de l’examen des faits. Ce ne sont pas des thèses, des théories abstraites, ce sont des vues d’ensemble jetées par intervalles sur les choses que l’auteur vient de nous raconter, sortes de commentaires qui, en quelques mots, donnent aux faits un sens, une portée que le simple récit ne pouvait faire prévoir. ; Nous voudrions en citer des exemples ; ils sont par bonheur trop nombreux, le choix serait trop diflBcile, ou nous serions conduits trop loin. De dix pages en dix pages, vous rencontrez ces sortes de vigies qui vous font cheminer à coup sûr, en compagnie d’un guide dont la vue