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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/506

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Tout à coup un changement favorable s’accomplit dans les dispositions de l’Angleterre. Le 19 octobre, lord Lyons vient trouver M. de Chaudordy, et lui annonce que le cabinet de Londres va s’adresser lui-même à la Prusse, « afin de faire cesser une lutte affligeante et stérile. » Le 21 octobre, lord Granville écrit en propres termes : « L’Angleterre conseille instamment au gouvernement français de s’accorder avec la Prusse pour un armistice qui amènerait la convocation d’une assemblée nationale et aboutirait au rétablissement de la paix. » La délégation de Tours, constatant la parfaite spontanéité de cette demande, décide que la proposition du cabinet de Londres sera transmise à Paris et appuyée auprès du gouvernement de l’Hôtel de Ville.

Que s’était-il donc passé à Londres ? D’où venait ce retour d’humanité, de sagesse et de courage ? L’Angleterre avait-elle ouvert les yeux aux conséquences de sa faiblesse ? Avait-elle fini par se rendre compte de ses devoirs envers la France et envers l’Europe ? — Hélas ! il n’en était rien. Ce bon mouvement, dont nous voudrions faire honneur au cabinet de Londres, lui était suggéré par la Prusse. M. de Bismarck, qui au fond désirait la paix, et qui, sans vouloir tolérer la médiation des neutres, espérait bien se servir d’eux pour nous faire accepter des conditions dès lors irrévocablement arrêtées dans son esprit, avait exploité adroitement les craintes que la prolongation du siège de Paris devait inspirer à tous les spectateurs de la guerre. Dans un mémorandum aussi habile que perfide, communiqué le 10 octobre aux puissances neutres, il avait dépeint sous les couleurs les plus noires les calamités auxquelles devait aboutir la longue résistance de la capitale. Il avait fait prévoir l’épuisement prochain des subsistances, l’impossibilité d’un prompt ravitaillement, la destruction d’une population tout entière vouée à la famine et « condamnée à une mort certaine, si Paris ne capitulait pas à temps. » Il rejetait naturellement la responsabilité de tous ces désastres sur l’obstination insensée du gouvernement de la défense nationale et sur le coupable orgueil de la nation française, laissant entendre aux neutres que c’était à eux d’y mettre ordre en joignant leurs efforts à ceux de l’Allemagne pour abattre les prétentions de la France.

C’est à cet appel que le cabinet de Londres, aussi zélé à prévenir les souhaits du chancelier prussien que récalcitrant à nos réclamations ou à nos prières, s’était hâté de répondre avec un empressement inaccoutumé. N’agissant d’ailleurs que par la permission et le désir de la Prusse, il n’avait aucune arrière-pensée de lui imposer sa médiation, ni d’intervenir en rien dans les conditions de la paix. Il le faisait bien entendre dans une dépêche adressée par lord