Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/513

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affaiblie par les revers de la France. Enfin notre diplomatie épuisa tous les argumens propres à émouvoir le gouvernement anglais ; elle alla jusqu’à invoquer les usages religieux de l’Angleterre en lui représentant combien « il serait contraire à tout sentiment chrétien que l’époque des fêtes de Noël fût profanée par la continuation d’une guerre aussi cruelle[1]. »

En même temps nous appelions à notre aide l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, jusqu’au pape lui-même, qui tous joignaient leurs instances aux nôtres[2]. Le gouvernement anglais ne se laissa pas entraîner. Malgré son vif désir de se ménager l’appui de la France dans les négociations qui allaient s’ouvrir, il ne voulait à aucun prix faire la guerre ; il avait donc besoin de mériter les bonnes grâces de l’Allemagne, à la discrétion de laquelle il s’était placé, et il tremblait de déplaire à M. de Bismarck en s’engageant trop avant de notre côté. Lord Granville refusa formellement d’envoyer à M. Odo Russell les instructions demandées par la France. A peine osa-t-il informer M. de Bernstorff, le ministre de Prusse à Londres, que le gouvernement français persistait à croire « qu’il ne pouvait y avoir d’armistice sans ravitaillement et d’assemblée sans armistice, mais que la durée de l’armistice pourrait être abrégée, et qu’on pourrait s’arranger sur les proportions du ravitaillement[3]. » Il ajoutait prudemment que ces prétentions excessives ne lui semblaient pas de nature à être admises par M. de Bismarck, et qu’il en informait simplement le gouvernement prussien, sans prendre la liberté de les lui soumettre.

Ces circonstances obligeaient la France à n’accueillir qu’avec une extrême précaution l’invitation faite par l’Angleterre avec la permission du roi Guillaume. C’était la Prusse en effet qui avait imaginé la conférence, et il était visible qu’elle comptait bien en accaparer la direction. Des renseignemens reçus de Florence ne pouvaient nous laisser aucun doute à cet égard. La Prusse, qui n’avait apposé sa signature au traité de Paris qu’à titre de puissance garante, et quand il avait déjà été arrêté pair les autres puissances, voulait jouer le premier rôle dans la conférence ; elle voulait y paraître

  1. Lord Lyons à lord Granville, 8 décembre 1870.
  2. Nous trouvons la trace de ces démarches dans le livre bleu anglais. C’est tantôt sir A. Paget qui rend compte d’un entretien qu’il a eu le 17 décembre avec M. Visconti-Venosta, et où il a donné pour toute réponse lecture d’une dépêche de lord Granville à lord Lyons, « en faisant remarquer au ministre italien qu’il ne fallait pas attribuer à sa seigneurie l’intention de recommander telles conditions de paix, plutôt que d’autres ; » — tantôt une dépêche de lord Bloomfield, qui dans un entretien avec M. de Beust démontre savamment au chancelier l’inutilité de toute proposition d’armistice avec ravitaillement. (21 décembre, lord Bloomfield à lord Granville.)
  3. Lord Granville à M. Odo Russell,. 5 décembre 1870.