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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/538

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l’équivalent de la dépense et de la peine. Qu’est-ce de la bourse réduite à 275 francs ? On peut dire que dès ce moment l’ancienne combinaison a croulé ; le contrat d’apprentissage est désormais éludé sur tous les points qui étaient pour le patron un embarras et un fardeau. Aucune poursuite judiciaire ou administrative n’a d’effet sérieux, et on a fini par y renoncer. Le patron n’a plus en réalité la tutelle de l’apprenti. Le contrat avait pour but de l’en charger ; l’usage l’en a affranchi, et l’éducation morale de l’apprenti, qui était une des obligations étroites de son engagement, est presque absolument nulle. Là où elle a survécu, elle est le fait de la probité personnelle et de la volonté du contractant.

Ce qui a plus encore contribué à fausser l’institution, c’est la connivence des parens et des patrons pour un détournement d’emploi des bourses des deux catégories gagnées par l’enfant. Le cas avait été prévu où, l’apprentissage devant durer moins de trois ans, une remise pourrait être faite par le patron au profit de l’apprenti. Ce qui était une exception est devenu une règle. On a constaté par exemple que, dès 1858, sur 187 contrats passés, 24 seulement stipulaient une indemnité pécuniaire au patron, et qu’en 1859, sur 20 contrats signés à l’ancien sixième arrondissement, un seul mentionnait, de la part des familles, une concession d’argent. M. Gréard constate ces faits et y ajoute de curieux détails. « Alors même, dit-il, que les patrons acceptent ostensiblement tout ou partie de la bourse, le plus souvent ils ne reçoivent rien. En réalité, ils rendent de la main à la main la somme qui leur a été livrée. L’institution a été viciée dans son essence. En principe, la bourse était la rémunération de l’apprentissage, et le contrat liait la conscience du patron, qui touchait le prix de sa peine. Aujourd’hui sa parole se trouve en quelque sorte dégagée… L’apprenti cesse en droit d’être un élève confié aux soins d’un patron dûment rétribué : la bourse n’est plus qu’un moyen déguisé, une forme détournée d’assistance publique. »

Ainsi ni l’éducation morale ni l’éducation professionnelle ne se trouvaient bien de ce système, et à consulter les documens scolaires on s’assure que l’éducation générale n’était pas mieux partagée. Les illusions étaient grandes pourtant dans le corps enseignant. On raconte qu’en 1847 quelques patrons avaient eu l’idée d’obliger leurs apprentis à fréquenter, au moins jusqu’à quinze ans, les classes spéciales d’apprentissage qui venaient d’être annexées aux classes d’adultes. Croirait-on que, consulté, le comité central décida « qu’il n’y avait pas lieu de donner suite à cette proposition ! » C’était là un accès de présomption, rien de plus. Il n’était pas admissible, aux yeux du comité, que l’enfant qui avait gagné au concours le prix d’apprentissage ne possédât pas toutes les notions de l’enseignement primaire. Il ajoutait que, dans le cas